DU DÉSIR D’HORIZONS – Salia Sanou : parce qu’il y aurait l’espoir

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Bord scène, une femme seule isolée de lumière, les bras vers l’avant, ondule sa colonne sans discontinuer. Saccadée, accélérée parfois, l’ondulation est dense. Écho d’un corps meurtri mais malgré tout solide. Résonance d’une histoire migratoire subie. Des bras tendus vers d’autres cieux. La première image Du désir d’horizons, la dernière pièce du chorégraphe burkinabé Salia Sanou présentée au Théâtre National de Chaillot, donne l’idée du voyage qu’il nous propose. Un voyage qui n’est pas sans rappeler l’excellent et nécessaire documentaire d’Anne Poiret, diffusé à la télévision il y a quelques semaines, Bienvenue au Réfugistan.

Ce pays imaginé par la réalisatrice, mais bien réel lorsque l’on compte le nombre de personnes déplacées par la violence partout dans le monde et « accueillies » pour un temps plus ou mois long dans des camps, Salia Sanou l’a en partie éprouvé. Depuis trois ans, dans le cadre du projet « Refugees on the Move » mené par le HCR et l’AAD African Artists for Development, avec certains des danseurs de sa compagnie Mouvements perpétuels, il mène des ateliers dans des camps de réfugiés au Burundi et au Burkina Faso. Fuir un pays en guerre, se retrouver loin de chez soi, isolé, avec pour seuls bagages des traumatismes, c’est sans nul doute le sort de toutes ces personnes qui affluent aux portes des pays en paix.

« Du désir d’horizons » © Stéphane Maisonneuve
« Du désir d’horizons » © Stéphane Maisonneuve

Salia Sanou avec Du désir d’horizons témoigne de son expérience dans les camps en la transposant sur un plateau. Certains questionnements et éléments constitutifs de la vie (normalement transitoire) des réfugiés, sont ainsi mis en corps pour partager cette expérience et donner à voir de près ce qu’on ne veut voir que de loin. Plutôt qu’une création documentaire, comme peut l’être le film cité plus haut, Du désir d’horizons se veut une photographie dansée d’une situation et de ce qui peut résonner en chacun de nous. Le chorégraphe s’est entouré de huit jeunes danseurs qui portent la création avec une belle énergie. Inscrivant leurs corps dans des moments de solitude d’où la folie affleure, comme dans des moments d’effusions collectives d’où semble renaître l’espoir.

Les conditions de vie sont telles au sein de ces camps que l’individu, au coeur du collectif, est complètement nié, humilié, déclassé. Ses droits sont bafoués dégradés. Sujet d’un système conçu par d’autres, il est dépassé et délaissé par une organisation qui traite la masse plus que l’être humain. Figurée par une vingtaine de lits de camp placés sur tout le plateau, cette masse questionne. Comment peut-on parquer des individus, déjà traumatisés d’avoir tout quitté, tout perdu, dans des espaces où l’ultra proximité ne peut qu’engendrer d’autres formes de violences, voire de folies ? Cette folie, ou l’expression déviante de soi, s’incarnent par une série de soli entre les lits de camps bien alignés.

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« Du désir d’horizons » © Stéphane Maisonneuve

Les danseurs disent le trouble, l’absence de raison qui peut parfois les submerger. Les corps alors se tordent, se tendent, expulsent une énergie qui n’en peut plus d’être contenue, retenue dans si peu d’espace, dans si peu d’intimité. Les visages sont opaques, flous, fantomatiques par moment. Où puiser les ressources nécessaires pour se tenir encore debout ? Dans le regard de l’autre peut-être ? Dans cette capacité de résilience de certaines personnes peut-être ? Dans la danse ? Sûrement. Pour Salia Sanou, son seul moyen de dire ce dont il a été témoin était de le mettre en danse. Et en mots. Pas n’importe quels mots : ceux de Nancy Huston à propos de Samuel Beckett.

Faute d’obtenir les droits de Cap au Pire de l’auteur irlandais, Salia Sanou s’est plongé dans Limbes/Limbo, Un hommage à Samuel Beckett, et y a trouvé la résonance nécessaire à son expérience permettant d’exprimer « … un espace où la dimension de solitude comme celle de l’altérité se croisent sans arrêt pour illustrer à la fois l’obscur et la lumière. » C’est une des danseuses qui sera porteuse de cette inspiration littéraire en énonçant des extraits du texte de l’auteur canadienne. Malheureusement ces moments de verbes ne sont pas les plus réussis. Ils manquent d’incarnation ou d’une neutralité plus affirmée. On est dans un entre deux, qui trouble plus la chorégraphie qu’elle ne la sert.

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« Du désir d’horizons » © Stéphane Maisonneuve

Attachons nous plutôt à ces moments d’effusions collectives, où d’autres horizons semblent possibles. Comme par exemple, cette danse grecque, le sirtaki qui met en joie les danseurs, les entraîne dans une farandole où nécessité fait lien et inversement. Se tenir les mains quoi qu’il arrive, continuer d’être ensemble pour ne pas mourir. Ou encore cette scène aux mobylettes danseuses. Après la fixité des lits de camp, qu’ils soient verticaux ou horizontaux à la manière de barreaux, les mobylettes dessinent un autre espace, mobile celui-ci. Un espace de liberté. Les danseurs créent un ballet où la respiration, l’espoir redeviennent des possibles. Qu’il est beau de les voir danser dessus ou à côté, de voir leurs visages et leurs corps se transformer, générer la joie et le goût du partage. Comme une humanité retrouvée.

Malgré quelques maladresses et imprécisions notamment dans les premières scènes de danses collectives avec pour seuls sons les corps et leurs souffles, Salia Sanou et ses danseurs font entendre les voix de réfugiés. La photographie dansée de cette situation si particulière nous donne à entendre et à voir. Leurs questionnements peuvent devenir les nôtres. Comme la scénographie de Mathieu Lorry Dupuy, les lumières de Marie-Christine Soma, et la musique de Amine Bouhafa, les danseurs portent magnifiquement le spectacle. Avec un coup de coeur particulier à Soa Ratsifandrihana, dont la présence et la danse illuminent la pièce de la scène d’ouverture jusqu’à la fin.

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« Du désir d’horizons » © Stéphane Maisonneuve

Du désir d’horizons est une création qui ne laisse pas indifférent. Et c’est bien de l’indifférence qu’il faut à tout prix se séparer pour être à nouveau ensemble et construire ensemble un autre monde. Il parait alors indispensable de s’emparer des voix de ces hommes et ces femmes qui traversent l’indicible, de les faire nôtres parce que eux c’est nous.

Et plus si affinités

Pour en savoir plus sur Du désir d’horizons, consultez ce lien :

http://theatre-chaillot.fr/danse/du-desir-d%E2%80%99horizons

Fanny Brancourt

Posted by Fanny Brancourt