
The ARTchemists média culturel ? Mais encore ? On en discutait l’autre jour, tous ensemble. Est-ce que ça veut dire encore quelque chose aujourd’hui ? Le mot culture est partout, décliné à toutes les sauces. Dans les médias, les discours politiques, les campagnes de pub, les salles de classe, sur les réseaux sociaux bien évidemment. On parle de culture artistique, populaire, d’entreprise, urbaine, scientifique, numérique… Mais que recouvre réellement ce terme ? Ici maintenant, en 2025 ? D’où vient-il ? À quoi sert-il ? Qu’englobe-t-il ? Pourquoi fait-il débat ? Pourquoi DOIT-IL faire débat ? Définir la culture, c’est entrer dans un champ vaste, mouvant, confus. Un tour d’horizon s’impose.
Un produit de la Renaissance pour trois grandes acceptions contemporaines
Quand on veut faire le point sur la signification d’un mot, il faut commencer par ses racines, sa source, son étymologie. Le mot culture dérive du latin colere aka « cultiver ». À l’origine, il désigne donc l’entretien de la terre (cultura agri). Ce n’est qu’au XVe siècle qu’il commence à s’appliquer à l’esprit : on parle alors de cultiver son savoir, son langage, ses goûts. Ce glissement sémantique reflète un changement profond dans la manière dont on conçoit l’être humain.
À la fin du Moyen Âge, puis avec la Renaissance, l’homme commence à se penser comme perfectible, capable de progresser, de s’élever par l’éducation et la connaissance. C’est le moment où l’on redécouvre les textes de l’Antiquité, où l’on valorise les humanités — grammaire, rhétorique, philosophie, histoire, arts — considérées comme des outils de développement personnel et social. Cultiver l’esprit s’impose comme une image puissante : comme on soigne un champ pour qu’il porte des fruits, on travaille son intelligence, sa sensibilité, sa langue, pour s’épanouir et contribuer à la société.
Et aujourd’hui ? Qu’en est-il ? La culture est perçue de trois manières :
- La culture comme perfection individuelle; inspirée des Lumières, elle valorise le raffinement, la connaissance des arts, la lecture, la musique.
- La culture comme patrimoine collectif ; elle désigne ici les productions d’une société dignes d’être conservées et transmises (musées, monuments, arts « nobles »).
- La culture comme mode de vie ; c’est une vision anthropologique développée par Edward Tylor ou Claude Lévi-Strauss) selon laquelle tout groupe humain a une culture (langue, rites, cuisine, organisation sociale…).
Bien évidemment, ces trois définitions se chevauchent, s’enchevêtrent… et entrent parfois en tension. D’où la grande question : culture pour qui ? Culture pour quoi ? Et là on entre dans la valse des contradictions.
Culture légitime vs culture populaire
Depuis les travaux du sociologue Pierre Bourdieu — notamment dans La Distinction (1979) — on sait que la culture n’est pas qu’une affaire de goûts ou de curiosité : c’est aussi un marqueur social. Autrement dit, ce que l’on consomme comme œuvre ou spectacle, ce que l’on considère comme “bon” ou “légitime”, révèle souvent notre origine sociale, notre niveau d’études, notre capital culturel.
- La culture dite savante — musique classique, opéra, théâtre d’auteur, peinture ancienne, philosophie — a historiquement été valorisée par l’école, l’université, l’État, les institutions républicaines. Elle est souvent associée à une élite intellectuelle ou bourgeoise, et transmise dans les cercles favorisés dès l’enfance.
- En parallèle, la culture populaire — chansons de variété, bandes dessinées, rap, séries télévisées, mangas, jeux vidéo — a longtemps été regardée de haut, considérée comme “inférieure”, “superficielle”, voire “dangereuse”. Pourtant, ce sont ces formes qui touchent aujourd’hui le plus large public, qui forgent des imaginaires puissants, et qui génèrent une créativité foisonnante.
Deux univers irréconciliables, voire antagonistes ? Les lignes, heureusement, bougent petit à petit.Depuis une vingtaine d’années, on observe une ouverture du monde culturel institutionnel à la culture populaire. Quelques exemples ? Le Centre Pompidou a consacré des expositions à la bande dessinée, à l’art brut, au design industriel, ou encore à la culture punk. En 2014, l’exposition Tatoueurs, tatoués au musée du quai Branly a marqué un tournant en reconnaissant le tatouage comme une forme artistique, issue à la fois de rites ancestraux et de mouvements subversifs (prisons, marins, bikers, scènes underground). Des festivals comme Hip Hop Symphonique réunissent des rappeurs et des orchestres classiques, créant des ponts inédits entre les mondes.
Culture mondialisée ou culture fragmentée ?
Autre paramètre de l’équation : Internet a bouleversé la culture en profondeur. Aujourd’hui, on y accède facilement, gratuitement, partout, en un clic ou presque. On peut aussi produire, partager, commenter des contenus culturels sans passer par les circuits traditionnels : un smartphone suffit pour publier une chanson, un poème, une BD ou un court-métrage. Mais cette ouverture massive produit aussi des effets paradoxaux :
• Les algorithmes, en privilégiant les contenus populaires et rentables, relèguent dans l’ombre les formes d’expression minoritaires, expérimentales, ou simplement moins virales.
• Ces mêmes algorithmes construisent des bulles culturelles : chacun se voit proposer des contenus similaires à ce qu’il consomme déjà, sans confrontation avec d’autres styles, d’autres références, d’autres horizons.
Traduction en vrai, dans la vraie vie : des ados peuvent connaître One Piece, Jujutsu Kaisen ou Demon Slayer sur le bout des doigts, maîtriser les codes du manga et de l’animation japonaise… sans jamais avoir entendu parler de Molière, Balzac ou même de la BD franco-belge. Un jeune peut suivre un influenceur mexicain spécialisé dans le low tech, une streameuse finlandaise fan de cosplay, ou une philosophe brésilienne qui vulgarise Spinoza… sans jamais tomber sur La Grande Librairie, Le Dessous des Cartes, ou une pièce de théâtre contemporaine française. À l’inverse, une autre personne, dans une autre bulle, ne jurera que par le classique occidental, sans jamais croiser un créateur coréen, une série nigériane ou un vidéaste queer non-européen.
Résultat : la culture circule plus que jamais, mais chacun la vit dans son couloir, sa niche, son algorithme personnel. Une mondialisation en apparence… mais cloisonnée.
Culture vivante vs culture institutionnelle
Également alimenté par l’explosion d’internet, un autre clivage traverse aujourd’hui le monde de la culture, et non des moindres.
- D’un côté, on trouve les institutions traditionnelles — musées nationaux, opéras, conservatoires, grandes écoles artistiques, lieux prestigieux souvent situés dans les centres urbains.
- De l’autre, évoluent les créateurs indépendants, collectifs autogérés, artistes issus des cultures urbaines ou numériques, qui se produisent dans des lieux alternatifs ou en ligne, loin des circuits officiels.
Cette opposition ne date pas d’hier, mais elle s’est accentuée avec la montée en puissance des réseaux sociaux, des plateformes de diffusion libre, et de nouvelles formes de création plus inclusives, plus connectées, souvent auto-produites.
Les seconds reprochent aux premiers :
• leur lenteur d’adaptation aux nouvelles pratiques culturelles et aux formats numériques,
• leur centralisme, la majorité des budgets de la visibilité restant concentrée à Paris ou dans quelques grandes villes (et la réduction drastique des subventions n’a rien arrangé),
• leur manque de représentativité, un entre-soi social, une faible diversité en termes d’origines, de genres, de parcours ou de disciplines artistiques.
Cette tension se traduit très concrètement dans les débats sur les politiques culturelles :
Faut-il continuer à financer massivement les grandes institutions « à la française », ou plutôt soutenir les pratiques locales, les petits lieux de diffusion, les festivals indépendants, les ateliers associatifs, les créateurs de rue, de banlieue ou de web ? Ce débat renvoie à une question plus large : qu’est-ce qu’on considère comme “légitime” dans la culture aujourd’hui ? Et qui décide ?
Concrètement ça donne quoi ?
- Tandis que la Philharmonie de Paris propose une programmation prestigieuse et très subventionnée, beaucoup de salles de quartier, de cafés-concerts ou de MJC musicales (ex : le Moloco à Audincourt, ou le FGO-Barbara à Paris) luttent pour survivre et offrir une scène aux jeunes groupes émergents. Et pourtant, ce sont souvent ces lieux qui font éclore les nouveaux talents.
- L’Opéra de Paris concentre des millions d’euros de subventions publiques chaque année. Pendant ce temps, des collectifs comme Paradox-sal dansent dans la rue, les friches ou les MJC, et peinent à obtenir des financements durables, alors même qu’ils attirent un public jeune, populaire et diversifié. Leur style, souvent hybride (hip-hop, contemporain, théâtre), est encore peu reconnu dans les circuits officiels.
- Le pass Culture, qui offre un budget de 300 € aux jeunes pour découvrir des œuvres ou lieux culturels, a suscité une polémique : beaucoup de fonds ont profité aux grandes enseignes (Fnac, Pathé…) ou aux grosses institutions, alors que les petits lieux de proximité, les bibliothèques municipales ou les artistes indépendants ont parfois du mal à intégrer le dispositif. Une belle idée, mais qui pose la question : à qui profite réellement ce soutien ?
Nouvelles formes culturelles : mutation … ou explosion ?
Nous vivons donc un moment charnière. Jamais la culture n’a été aussi diverse, instantanée, participative. La révolution numérique ne s’est pas contentée de modifier les supports, elle a transformé la nature même des œuvres, des formats, et des rôles. Culture numérique, culture remixée… quid de ce melting pot ?
La culture numérique
Aujourd’hui, TikTok, Twitch, YouTube, Instagram, et même Discord ou Reddit, sont de véritables lieux de production culturelle. Ces plateformes ne se contentent pas de diffuser : elles créent des tendances, des esthétiques, des mouvements. Chacune a ses codes, ses langages, ses stars et son imaginaire collectif. On y voit émerger de nouveaux formats, hybrides, souvent collaboratifs et éphémères, où l’authenticité, la créativité brute et l’interaction comptent autant que la technicité.
Exemples parlants ?
• Les battles de rap en ligne (type End of the Weak, Rap Contenders) où l’impro, la punchline et la performance sont à l’honneur, accessibles à tous sans passer par une maison de disque.
• Les chorégraphies virales sur TikTok, comme langage corporel mondial, reprises en boucle, adaptées, remixées à l’infini.
• Les speedruns de jeux vidéo, devenus de véritables performances artistiques où précision, créativité et narration se mêlent.
• Les booktubers et booktokers, qui font revivre la critique littéraire auprès d’un jeune public, en utilisant humour, storytelling et mise en scène émotionnelle.
Résultat : les frontières entre créateur et spectateur se brouillent ; on commente, on like, on duplique, on répond. Chaque internaute peut devenir acteur culturel, parfois sans le vouloir.
La culture remixée
Avec les outils numériques accessibles à tous (montage, retouche, IA, filtres), les publics deviennent eux-mêmes créateurs. Ils s’emparent des contenus existants pour en faire autre chose : on découpe, on détourne, on réinterprète, on joue. C’est la logique du remix, du mashup, des memes, des fanfictions :
- Un film devient un gif.
- Une interview devient une parodie.
- Un discours politique devient un son auto-tuné.
- Un roman donne lieu à des suites écrites par les fans.
Le remix, loin d’être une copie paresseuse, devient une forme d’expression critique, créative et ludique. C’est une manière de s’approprier la culture, de la commenter, de la transformer pour mieux la faire parler à son époque. Mais cette culture participative, décrite par Henry Jenkins dans Convergence Culture (2006), questionne les notions traditionnelles d’auteur, d’œuvre, et de public :
• Qui est vraiment le créateur ?
• À partir de quand une œuvre est-elle « originale » ?
• Peut-on créer sans « créer » au sens classique du terme ?
Assiste-t-on à une “crise” de la culture ou à une explosion de ses formats, de ses usages, de ses voix ? Cette mutation profonde, souvent joyeuse, parfois chaotique, redéfinit les règles du jeu culturel.
La culture n’est pas neutre, elle est politique
On pourrait croire que la culture est un espace de liberté pure, de création désintéressée, de divertissement ou de contemplation. En réalité, la culture s’avère un terrain de pouvoir, de choix, de conflits. Elle structure notre vision du monde et reflète les rapports de force qui le traversent.
Assiste-t-on à une crise ou à une métamorphose ? La question n’est pas seulement esthétique. Car cette mutation culturelle, souvent joyeuse, parfois chaotique, redéfinit les règles du jeu, et révèle ce qui se joue en coulisses :
• Ce qu’on choisit de montrer ou de cacher,
• Ce qu’on décide de financer, de médiatiser, ou au contraire de marginaliser,
• Ce qui façonne notre rapport à l’histoire, à l’autre, à soi-même.
La culture n’échappe ainsi à aucun des grands débats contemporains. Elle est traversée par :
Des enjeux identitaires
Qui a le droit de prendre la parole ? De représenter ? De raconter ?
Les œuvres issues des cultures minoritaires, autochtones, LGBTQIA+, ou diasporiques se heurtent souvent à l’invisibilisation ou à l’exotisation. La question de la représentation devient centrale : on attend de la culture qu’elle reflète enfin la pluralité des identités.
Des conflits de mémoire
Comment raconter l’histoire ? Quelle place accorder à la colonisation, aux génocides, aux exils, à l’esclavage ? Les musées, les manuels scolaires, les films historiques sont autant de champs de bataille où se rejouent les mémoires blessées, les silences, les amnésies officielles.
Des luttes économiques
Qui peut vivre de la culture ? Qui décide de ce qui est “rentable” ? La précarité des artistes, la concentration des moyens dans quelques grandes structures, la logique de rentabilité imposée par certains financeurs posent la question de la marchandisation de la culture — au détriment de la création libre, indépendante, ou expérimentale.
Les exemples ne manquent guère, ne serait-ce que dans notre article sur le travail de sape culturelle entrepris par Trump. Mais on en remet une p’tite couche quand même :
• Le débat sur les œuvres dites “décoloniales” dans les musées occidentaux (ex. : restitution des œuvres d’art africain spoliées, ou relecture des collections ethnographiques) révèle la remise en cause des récits dominants, et la tension entre mémoire coloniale et justice culturelle.
• La censure d’artistes féministes sur Instagram (notamment dès qu’un corps nu, une menstruation, une dénonciation du sexisme est représentée) montre comment les plateformes régulent la visibilité selon des normes sexistes, puritaines ou commerciales.
• Le refus de certaines œuvres engagées dans des festivals sponsorisés (ex. : œuvres écologistes censurées dans des événements soutenus par Total, ou performances pro-LGBT écartées de scènes institutionnelles) souligne que le mécénat privé conditionne la liberté d’expression.
La culture constitue donc un miroir des tensions de notre société, avec à la clé des problématiques cruciales :
• Qui a accès à la parole publique ?
• Qui décide de ce qu’est une “grande œuvre” ?
• Quelle mémoire collective transmet-on ?
• Peut-on créer librement dans un système financé par des intérêts économiques ou politiques ?
La réponse n’est jamais simple. Mais une chose est sûre : défendre une culture vivante, critique, inclusive, c’est aussi faire un acte politique.
Récapitulons
La culture aujourd’hui n’est plus univoque. Elle est :
- Fragmentée mais connectée,
- Populaire et expérimentale,
- Ancrée localement, diffusée mondialement.
Elle évolue hors des sentiers classiques, dans :
- Les collectifs queer et DIY,
- Les friches artistiques,
- Les pratiques amateurs,
- Les webzines, les podcasts, les stories Insta.
Ce qu’on appelait jadis « haute culture » ou « culture populaire » est désormais fluide, transversale, contaminée. Et c’est tant mieux. Mais cela ne nous dit pas ce qu’est la culture aujourd’hui peut-être parce que la bonne question est : qu’est-ce que la culture devrait être ?
Ce qui fait lien ? Ce qui nous permet de raconter, comprendre, ressentir ?
Ce qui divise, hiérarchise, ou libère ?
C’est peut-être, c’est surtout ce qu’on choisit d’en faire : chacun, chaque jour, en écoutant, en créant, en partageant.
Et plus si affinités ?
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