Le Couronnement de Poppée : Monteverdi vu par Bob Wilson

L'Incoronazione Di Poppea (Saison 2013-2014)
© Andrea Messana/Opéra national de Paris

Ce mois de juin 2014, l’Opéra, le vrai, celui de Garnier, redonnait donc L’Incoronazione di Poppea, le dernier des trois opéras de Monteverdi – créateur du genre dit de la favola in musica – dans une approche janséniste signée du plus grand metteur en scène vivant, Bob Wilson. On peut dire qu’on en a eu pour son comptant.

Techniquement, on pourra toujours ergoter : les poursuites complétant la lumière millimétrée décidée/designée par Robert Wilson, Giuseppe Frigeni (co-metteur en scène) et A.J. Weissbard étaient quelquefois un peu lentes au démarrage, décadrées au départ ou hésitantes ; certains gosiers émettaient insuffisamment aux yeux de nos oreilles, si l’on peut dire, bassa voce ; l’inutilisation prolongée de deux instruments à vent, en réserve de la république, le dernier acte durant (jusqu’au triomphe final), a eu pour effet de les désaccorder un quart d’Othon, pardon ! de ton. Pour le reste, on ne le discutera pas ici (les goûts et les couleurs…).

La distribution lyrique, élément qui prépondère sur les autres, étant éclectique, certains interprètes exploitent surtout leurs qualités expressives (Jeremy Ovenden, alias Néron, Karine Deshayes, dans le rôle-titre, Monica Bacelli, dans celui d’Octavie, Varduhi Abrahamyan jouant Othon), tandis que d’autres nous atteignent via leur nature dansante (Amel Brahim-Djelloul incarnant Amour avec… humour) ou en misant sur la suavité de leur timbre, sur la délicatesse de leur phonation ou sur une intensité vocale hors du commun (Gaëlle Arquez, qui se dédouble en Fortune et en Drusilla, Jaël Azzaretti, qui alterne la partition de Vertu et celle de Damigella, Andrea Concetti, qui est tout simplement exceptionnel en Sénèque)…

Le livret (en italien) de Giovanni Francesco Busenello, inspiré par Tacite et de Suétone, restitué et surtitré en français (avec une seule faute d’orthographe relevée, ce qui est extrêmement rare) traite tragi-comiquement (comme le théâtre élisabéthain) de sujets éternels : l’amour, la politique, la tyrannie, la sagesse mise à l’épreuve, le monde à l’envers bas-peuple, et les stratagèmes qui gouvernent l’univers. Busenello use (sans en abuser) de sous-thèmes cadrant parfaitement avec le spectacle dans son acception vénitienne (séduction, inconstance, pureté, travestissement, manipulation, répudiation, intrigue). Les compositions de Monteverdi ont été « complétées » par celles, tout aussi baroques, de son élève Francesco Cavalli et de l’école, artisanat ou industrie qu’il a initiés : Francesco Sacrati, Francesco Mannelli et Benedetto Ferrari…

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© Andrea Messana/Opéra national de Paris

La nouvelle compil et complétude est signée Rinaldo Alessandrini, qui cumule les fonctions de chef d’orchestre et de claveciniste durant la représentation, et qui a opté pour une formation camériste, intimiste, povera, à base surtout de cordes de toutes sortes (chromatiques tels les clavecins et les harpes, frottées comme les violons, violoncelle et contrebasse, pincées comme les luths et les théorbe) contrastant avec une scénographie théâtrale sensationnelle (signée Robert Wilson et Annick Lavallée-Benny) mais soutenant, sinon amplement, du moins suffisamment, du bas de la fausse fosse (de plain-pied avec les sièges de l’« orchestre ») récitatifs et arias des solistes, duettistes et choristes sur scène.

Rien de démesuré, malgré les apparences, que ce soit dans la déco (sol en damier de 221 cases, si on a bien calculé, colonnades, arbustes, haies de buis, pin déraciné, chapiteau décapité, etc.) qui se déploie, se déplace de jardin à cour (et vice versa), s’élève ou s’enfonce jusqu’au lac souterrain de Garnier cher à Gaston Leroux, dans l’illumination tout en aplats du plateau, ou bien dans la mise en place, en danse ou en scène des comédiens-chanteurs. Rien d’extravagant, en dehors de l’utilisation d’effets simples d’apparence, de farces et de trappes datant au moins de Robert Houdin, de rails, de poulies, de mécaniques et de moteurs hydrauliques camouflés, enterrés, hors champ au doux ronron à peine couvert par les artistes lyriques et les musiciens. Avec ce peu relatif, Bob Wilson parvient à obtenir le plus – plus de sens au texte délivré par le livret, connoté psychologiquement, politiquement, philosophiquement, plus de sensations produites par les sons, les silences, les rythmes et les mélodies du drame musical, plus de qualité plastique, aussi.

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© Andrea Messana/Opéra national de Paris

Le metteur en scène veille à ce que les éléments qui ont permis l’hybridation opératique gardent une certaine indépendance, respectent une distance, un détachement. La lumière (couleur et valeur) est belle en soi, mais, à l’occasion, peut aussi souligner l’action (cf. la scène de la mort annoncée de Sénèque est en noir et blanc, costumes et maquillages compris, sans effet expressionniste pour autant, proche de l’Enterrement du comte d’Orgaz). Le corps des interprètes obéit à de propres, pour ne pas dire singulières, règles comportementales, qui évitent toute redondance entre le geste et la parole. La voix est libre de toute interprétation psychologique, de toute conclusion hâtive sur les personnages, en un sens comme dans un autre. C’est le cas de Néron, généralement traité comme un monstre, naissant ou se consumant et qui incarne ici une joie de vivre enfantine. Chez Bob Wilson, enfance ne veut pas dire innocence.

Et plus si affinités

https://www.operadeparis.fr/saison-2013-2014/opera/l-incoronazione-di-poppea-claudio-monteverdi

Nicolas Villodre

Posted by Nicolas Villodre