
Il y a, dans Confession Publique, quelque chose d’un chant primal qui, sous ses dehors de confidence, résonne comme un coup de tonnerre. Dès le premier fracas de batterie — Angélique Willkie, assise sur son trône de tambours, baguettes brandies comme un étendard de guerre — on pressent que l’aveu sera moins une reddition qu’une offensive. L’artiste se livre, certes, mais à la manière d’un corps assiégé qui prend d’assaut ses propres fortifications.
Le tumulte naît de la collision
Sur ce plateau minuscule, le tumulte naît de la collision : celui du rythme qui vrille l’air, des mots crachés dans un anglais haché, d’un souffle d’exorcisme où la transe bat en brèche les silences et les non-dits. La scène s’amenuise, la batterie disparaît comme un vieux démon qu’on a purgé.
À sa place, un simple micro, qui se transforme en pale d’hélicoptère — métaphore splendide d’une voix qui refuse la cage de l’amplification. Car Willkie n’a pas besoin de micro pour se faire entendre : sa voix, ample et profonde, porte la rumeur de toutes ses cicatrices.
Une biographie âpre
Une mère disparue sans mots, des amis chers décédés trop jeunes, une agression sexuelle en auto-stop — autant de brisures qu’elle évoque avec une économie de gestes et une sincérité qui désarment. Mais plus encore que les mots, c’est le corps qui confesse. Un corps de femme de soixante ans, offert sans fard, presque sans pudeur, mais jamais sans dignité.
Le nu, chez Willkie, n’est pas un choc gratuit. Il est le prolongement d’une mue nécessaire, une mue que la chorégraphe canadienne Mélanie Demers, actuellement sensation de la danse québécoise et muse jumelle de ce solo, orchestre avec une précision dramaturgique exemplaire. Les vêtements disparaissent dans des vases qu’on dirait funéraires — comme si l’on enterrait, pièce après pièce, la version domestiquée de soi. Reste la chair, vivante, ondulante, parfois violente dans ses propres caresses.
Une partition de paradoxes
« Suis-je en jouissance ou en décrépitude ? » semble t-elle s’interroger, non sans une pointe d’humour cruel. Confession Publique oscille entre cette brutalité et une tendresse presque maternelle qu’elle s’offre à elle-même, chantant Purcell comme on se berce d’un blues de survivante.
On croit au théâtre, mais on est happé par la danse ; on croit entendre un récit, mais c’est la chair qui parle le plus fort.
Willkie module la violence et la grâce avec une versatilité rare. Chaque anfractuosité de son corps devient un territoire de poésie et de résistance. Sa présence scénique — magnétique sans jamais être narcissique — évoque son passé d’interprètes passée chez Platel ou Cherkaoui, capable de déployer l’intime jusqu’à l’universel.
Dévoration et vulnérabilité
Cette confession, pourtant, ne réclame aucun pardon. Elle nous met face à la dévoration et à la vulnérabilité comme à des gouffres fascinants. La mise en scène de Demers, tout en strates musicales (l’univers électro de Frannie Holder, la pureté de Purcell), entretient cet état flottant où les époques, les blessures et les renaissances se superposent sans jamais se résoudre.
Et lorsqu’Angélique Willkie, nue, trempée, murmure son dernier refrain — « If love is a sweet passion, why does it torment ? » — c’est tout un continent de douleurs indicibles qui trouve soudain une langue. Mais ce n’est pas seulement le drame qui se joue là. C’est l’affirmation, sans concession, d’un corps féminin qui n’a plus à s’excuser de vieillir, de jouir, de souffrir, ni même de déranger.
Dans ce solo, la danse est tout sauf décorative : elle est une expiation, une archéologie vivante. Confession Publique ne se regarde pas, elle se reçoit, dans un frisson d’effraction et de gratitude mêlées. Difficile, en sortant, de ne pas penser à ces mots de Platel : « L’essentiel, ce n’est pas ce que l’on montre, mais ce que l’on laisse apparaître. »
Willkie laisse tout apparaître. Et il faut un certain courage pour rester là, spectateur, sans détourner les yeux.
Vu aux Hivernales le 11 juillet dans le cadre de On (y) danse aussi l’été – Avignon OFF 2025
Pour en savoir plus, consultez le site de la compagnie MAYDAY.
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