Cinéma / La Légende de Kaspar Hauser : last night a DJ saved my life

Je ne vois que ce titre désormais consacré du groupe In Deep pour résumer l’impression suscitée par cette dinguerie dont voici la bande annonce :

Non. Non, en fait la BA n’est qu’une pâle compression des 95 minutes tournées par Davide Manuli, entre fable expressionniste et Nef des Fous. Car en se saisissant du mystère Kaspar Hauser (celui qu’on allait baptiser l’« orphelin de l’Europe » fit l’actu au XIXeme siècle par l’obscurité de ses origines, son comportement attardé illuminé et son assassinat brutal autant qu’ inexpliqué), le réalisateur italien s’est jeté à corps perdu dans un apologue entre mythe, conte, et exemplum.

Nous sommes sur une île utopique (partout et nulle part) dont la microsociété et les codes de non communication vont être largement perturbés par l’arrivée d’un ange blond totalement autiste. Venu de nulle part, Kaspar Hauser est parachuté ici comme un envoyé de Dieu. Son message et son salut ? La musique. Et pas n’importe laquelle puisque c’est Vitalic, grand maître de l’electro qui s’y colle avec notamment un morceau portant le nom du film. Autour de cette trame musicale s’agitent des personnages qu’on croirait échappés d’un asile pour jouer une version speedée de la très shakespearienne Nuit des Rois.

On y retrouve deux frères ennemis, le shériff et Pusher le dealer, une duchesse dominatrice, un curé en crise de foi, une pute en quête d’amour, un hérault, un âne, un chien … et Kaspar, dont l’androgyne blondeur incarne la fraîcheur candide des saints et des victimes expiatoires. Christique de toute évidence, depuis l’entrée dans l’île sur un âne jusqu’à la couronne d’épines/branchages, l’immolation finale et la résurrection par la musique.

Le tout traité dans les paysages rudes de la sauvage Sardaigne, sous un soleil de plomb alourdi par le grain épais d’une image en noir et blanc comme aux grandes heures du cinéma italien. On pense par instants à des films comme Le voleur de bicyclette, Stromboli, Théorème enfin. De Sica, Rossellini, Pasolini … et une dinguerie pas possible dans le scénar qui rappelle par moment les délires des films mexicains des 70’s (le duel du shérif avec son frère, puis avec son reflet), l’univers échevelé de Elle cause plus, elle flingue d’Audiard.

Une histoire de cour d’école, un truc absurde que la venue de Kaspar va déranger par les questions qu’il suscite et le talent qu’il révèle. Le pouvoir rédemtpeur de la musique : difficile de ne pas connecter avec Electrick Children chroniqué il y a peu et qui traitait de la même problématique avec tout autant de fantaisie. En pleine crise du secteur musical, au moment où tout propriétaire d’un bon ordi s’institue producteur pour venir engorger la filière (et nous sommes bien placés pour en parler qui assistons quotidiennement au combat), le cinéma déboule pour faire écho et pauser la délicate et récurrente question de ce qui fait le génie.

On aime, on n’aime pas, c’est selon. Le film de Manuli évoque les délires sous acide, certaines répliques sont longues, on se serait passé de la perche apparaissant dans le cadre, du logo Adidas plaqué partout. Ok. Mais il demeure la magie des images, l’interprétation absolument dingue de Silvia Calderoni en Kaspar Hauser, l’italien (bon dieu, qu’est-ce que ça fait du bien, un film en italien, je vous jure, dés qu’on passe de l’anglais à l’italien, le film se transforme, s’anime, prend une démesure baroque, une étoffe incroyable, une sonorité, une musicalité irrépréssibles), la musique de Vitalic.

Et ça n’a pas de prix. Alors oui, c’est un film entre expérimental et délire, un film d’artistes aux casquettes variées, un film de potes très probablement, financé par les fans, mais ça nous change de ce qu’on voit habituellement. De ce fait l’équation vaut le coup, avec un moment de grâce que je vous fais partager avec joie, cette leçon de DJing sur une plage déserte, avec « Poison lips » à fond les manettes, tandis que Vincent Gallo et Silvia Calderoni se déhanchent comme possédés. Il fallait oser la faire. Ils l’ont fait. Tout est là :

Et plus si affinités

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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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