
« Tout se ressemble », « que des boîtes en verre », « on a perdu le beau ». Qui n’a jamais entendu ce verdict lapidaire à propos des immeubles récents ? Les enquêtes d’opinion confirment cette impression : selon une enquête Yougov datant de 2009, « 77 % des gens préfèrent l’architecture traditionnelle ». d’autres études citées notamment par archikallos.com confirment cette tendance. Tendance aujourd’hui validée par la politique trumpienne qui privilégie désormais un style traditionnel pour ériger les batîments publics.
Un fossé s’est donc creusé entre ce que produisent les écosystèmes de la construction et ce que le public attend. Pourtant, réduire l’architecture contemporaine à une succession de « glass boxes » interchangeables, c’est passer à côté des forces profondes qui la façonnent. Normes, budgets, climat, usages : derrière la peau de verre, il y a une équation complexe. Et souvent, l’histoire nous rappelle qu’un édifice conspué à sa naissance finit par devenir… culte.
Pourquoi tant de « boîtes » ?
L’impression d’uniformité n’est pas qu’un cliché : il suffit de lever les yeux dans n’importe quelle métropole pour s’en convaincre. Mais les raisons sont moins esthétiques que techniques et économiques.
- La façade rideau – métal et verre – est plus mince qu’un mur maçonné. Résultat : à surface identique, elle offre davantage de mètres carrés louables. Dans un marché où chaque mètre compte, c’est un avantage décisif.
- Ajoutons des plateaux profonds et des cœurs techniques centralisés, hérités du bureau de l’après-guerre, parfaits pour l’open space mais redoutables pour le logement.
- Enfin, les réglementations (hauteur, retraits, surfaces) et le fameux « value engineering » poussent à simplifier les volumes, à les rationaliser, quitte à les répéter jusqu’à la lassitude.
Le « Walkie-Talkie » de Londres, dont la géométrie concave a concentré les rayons du soleil au point de faire fondre une carrosserie, reste un exemple spectaculaire de ce que produit parfois cette mécanique.
Brutalisme, minimalisme, post-modernisme : une cartographie des styles
Il est facile de dire « c’est moche ». Et beaucoup intéressant pour ne pas dire pertinent de replacer les formes dans leurs familles.
- Né dans les années 1950 au Royaume-Uni, le brutalisme exalte la matière brute, la lisibilité structurelle, les volumes francs. On l’aime ou on le déteste, mais impossible d’ignorer sa force.
- Quant au minimalisme, le « less is more » de Mies van der Rohe poussé à l’extrême, implique lignes nettes, détails impeccables, dépouillement quasi spirituel.
- Réaction contre le dogme moderniste, le post-modernisme de Robert Venturi revendique la « complexité et contradiction », le retour du signe, du clin d’œil, de l’ornement assumé.
Ces étiquettes ne disent pas « beau » ou « laid », mais à quoi sert la forme : révéler la matière, épurer, dialoguer par symboles.
Du scandale au patrimoine
Nombre de bâtiments adulés aujourd’hui furent haïs hier. Trois exemples parmi les plus célèbres :
- Jugée gadget, imposée contre 90 % d’avis défavorables, la pyramide du Louvre (1989) : est désormais l’entrée la plus photographiée du monde.
- Le Centre Pompidou (1977), surnommé « Notre-Dame des tuyaux » et moqué pour son esthétique de raffinerie, est devenu un cœur civique et un symbole du Paris high-tech.
- Chantier chaotique, architecte démissionnaire, l’Opéra de Sydney (1973) offre une silhouette aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Résumons : à chaque fois, l’hostilité initiale s’estompe. L’usage, la mémoire et la photographie transforment l’étrangeté en icône.
Juger autrement que par le « beau »
Le piège serait de ne juger que la peau du bâtiment, sans lire son programme. Un bâtiment, c’est d’abord des usages : accueillir, soigner, apprendre, produire. Un minimalisme peut offrir lisibilité et calme ; un brutalisme, des espaces publics puissants. La vraie question est : qu’offre-t-il à la ville ?
Autre angle crucial : l’écologie. Le bâtiment représente près d’un tiers des émissions mondiales. Façades, compacité, réemploi, sobriété technique ne sont pas des caprices : ce sont des leviers de décarbonation. L’esthétique, pour être jugée, doit se croiser avec la performance environnementale.
Enfin, l’histoire elle-même joue contre nos jugements immédiats. Le temps déplace les regards : l’iconoclasme d’hier devient le patrimoine de demain.
Comment critiquer mieux ?
Plutôt que de dire « c’est moche », posons-nous d’autres questions :
- Le rez-de-chaussée donne-t-il envie d’entrer ? Le bâtiment anime-t-il la rue ?
- Les espaces sont-ils flexibles, réversibles ? Servent-ils des programmes variés ?
- Qu’en est-il de l’inertie, de l’ombre, du réemploi des matériaux ? Bref du caractère écologique du bâtiment ?
- Que raconte la forme ? Quelle histoire, quel symbole propose-t-elle à ses habitants ?
Robert Venturi rappelait que l’architecture est aussi un langage. Encore faut-il apprendre à l’écouter.
Et plus si affinités ?
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