La série « Sadorski » de Romain Slocombe : périple d’un flic pourri au cœur de l’Occupation

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couvertures des romans composant la saga Sadorski de Romain Slocombe

Pour celles/ceux qui nous suivent assidument, Romain Slocombe n’est pas un inconnu vu que nous chroniquons ses romans avec autant d’intérêt que de régularité. Difficile d’aborder l’œuvre du Monsieur sans évoquer la saga Sadorski. Saga que j’ai épluchée par le menu, m’enfilant à la suite et sans respiration les7 bouquins qui la composent. Pour l’instant. Car les aventures du salaud Sadorski sont loin d’être terminées.

Manquer d’air

Binge reading donc, dont je ne suis pas sortie indemne. S’immerger en apnée littéraire dans l’univers de Sadorski, c’est prendre le risque de manquer d’air. Et de paniquer. Pour différentes raisons.

  • Parce que la saga Sadorski évoque l’Occupation sous toutes ses facettes (sujet cher à Slocombe qui le connaît comme sa poche et l’évoque dans tous ses livres ou presque) et franchement c’est l’horreur au quotidien.
  • Parce que Sadorski est un flic spécialiste de la chasse aux Juifs, aux communistes et aux résistants, et qu’il est particulièrement rusé et zélé dans son travail ; comme il aime à le répéter avec une certaine satisfaction, c’est un flic de métier et de vocation. Qui aime l’ordre. Mais qui s’empresse de bousculer les choses quand cela l’arrange.
  • D’où le troisième « parce que » : Sadorski est un pervers de la pire espèce, menteur pour ne pas dire mytho, manipulateur, baiseur, violeur, voleur, misogyne, antisémite, une petite pourriture qui profite de l’Occupation pour prospérer. Odieux, à vomir. Et pourtant si humain parfois.

Paris à l’heure allemande

C’est là que Slocombe nous piège. Son personnage de collabo ne l’est qu’à moitié, résistant parfois à son corps défendant, aidant des Juifs persécutés de temps à autre, surtout quand ça l’arrange. Difficile de le critiquer quand on voit l’univers dans lequel il évolue, où toutes les limites sont abolies, où il faut survivre coûte que coûte, où on vit sur le fil du rasoir, en perpétuel état de vigilance.

Car Paris à l’heure allemande est devenu un repère de malfrats. Entre la Gestapo et les tueurs de la rue Lauriston, entre les mouvements résistants communistes qui s’entretuent, les gaullistes uqi peinent à prendre le lead, les voyous qui volent et torturent, les SS qui profitent de tout ce bordel pour vampiriser la France, pas étonnant que prolifèrent les Sadorski.

Un nom qui n’a rien de fictif : Slocombe, qui comme à son habitude, fait un travail de documentation considérable, avant de prendre la plume, a réussi à exhumer un flic Sadorski de l’oubli pour en faire son héros. Et il s’en sert pour exposer la mécanique de la collaboration : routines administratives, convoitises, carriérisme, haine, veulerie, rien ne manque au tableau ; idem pour les récits de bombardements (son évocation du bombardement de l’hippodrome de Longchamp un jour de course à de quoi glacer le sang), la description des lieux de plaisirs fréquentés par les nazis, les méandres du marché noir.

Trois trilogies en devenir

Idem aussi des techniques policières appliquées à la traque des opposants : les séquences d’interrogatoires sont à la limite du supportable. Slocombe adapte son style pour mettre en évidence comment l’emploi du lexique policier permet de masquer l’horreur et de se justifier en s’appuyant sur l’obéissance hiérarchique. Et cela sur les différents temps de cette période atroce, pensés comme des cycles :

  • la « trilogie des collabos » (L’Affaire Léon Sadorski ; L’Étoile jaune de l’inspecteur Sadorski ; Sadorski et l’Ange du péché)
  • la « trilogie de la guerre civile » (La Gestapo Sadorski ; L’Inspecteur Sadorski libère Paris ; J’étais le collabo Sadorski)
  • Un nouveau volet (1944-45) vient de s’ouvrir avec Sadorski chez le docteur Satan (autour de l’affaire Petiot) qui devrait se poursuivre avec Les Revenants de l’inspecteur Sadorski (mai 1945).

Naviguer en eaux troubles

Rafle du Vél’ d’Hiv, traque du groupe Manouchian, émergence de la Milice, journées de la Libération, Épuration… les épisodes les plus sanglants de cette période sombre sont détaillés, de même la confusion des valeurs, la lourdeur du quotidien. Le tout dans une atmosphère de fin des temps qui soulève le coeur et retourne l’âme. Sadorski est un salaud qui navigue en eaux troubles. Et on se surprend à parfois lui trouver des excuses, quand il fait un truc bien, qu’il subit la violence d’autrui, avant que de nouveau, on le déteste car il repart de plus belle dans ses combines.

Difficile parfois de ne pas penser à Enfant de salaud de Sorj Chalandon : un père qui a louvoyé sous l’Occupation, menti, enjolivé, un fils qui démonte la mythomanie au prisme des archives et du procès Barbie. Sadorski pourrait être ce père qui exploire la zone grise de Primo Levi, ces accommodements tissés de mensonges, ceux qui disent « avoir résisté », ceux qui « n’ont fait qu’obéir », ceux qui ont « aidé » ici tout en détruisant là.

Sadorski est une saga de la mauvaise foi. Choisir un narrateur principal abject est un risque éthique. Slocombe le prend à bras-le-corps et c’est juste bluffant de pertinence. La saga cogne là où ça fait mal : dans les légendes familiales, dans la tentation d’un roman national qui simplifie, dans l’illusion que « les monstres » sont ailleurs. Slocombe ne lâche jamais son lecteur, le force à observer comment on devient le rouage d’un système d’oppression, comment une société fabrique, puis recycle, ses salauds. Écriture nerveuse, sens du rythme et du coup de théâtre, usage très sûr de la temporalité : les tomes tiennent séparément, mais forment ensemble une chronique – des collabos à l’épuration, jusqu’aux premiers retours de déportés, ces « revenants » que la société, parfois, ne veut pas vraiment voir.

Et plus si affinités ?

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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com