La Mélancolie des dragons : … aux enfants que nous avons été

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Imaginez sept métalleux taillant la route avec des bières, des chips, un chien et un dinosaure en plastique, un paysage enneigé digne d’un tableau de Bruegel, une quinquagénaire adepte de vélo, de delco Citroën et de Metallica, un parc de loisirs itinérant inspiré de la Mélancholia de Dürer et des œuvres de Antonin Artaud … vous aurez alors une faible idée du spectacle La Mélancolie des dragons tel que nous l’avons découvert sur la scène du Théâtre Olympia – Centre dramatique régional de Tours:

De la rencontre improbable entre ces personnages, va naître une fantaisie poétique qui interroge notre capacité au rêve, à la contemplation et au dépassement du réel. « L’attitude mélancolique ne peut-elle pas aussi s’entendre comme une mise à distance de la conscience face au désenchantement du monde ?» s’interrogeait Starobinski. Philippe Quesne et l’équipe de son Vivarium studio choisissent d’explorer cet effort de distanciation dans un apologue où la morale laisse place au songe, à l’illusion, au théâtre dans le théâtre.

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Isabelle, au nom de princesse de conte de fées, va suivre ces troubadours modernes rencontrés entre deux congères dans leur délire théâtral. Une remorque transformée en galerie d’art puis en bibliothèque puis en scène, des praticable qui deviennent des bannières publicitaires ou des géants de carnaval, un rétroprojecteur qui inscrit les parois de citations philosophiques, … tout ici s’enchaîne pour devenir instant artistique.

La Mélancolie des Dragons / Philippe Quesne- Vivarium Studio

Plasticien et scénographe, Philippe Quesne connaît la valeur et les dangers de cet espace sacré qu’est le lieu dramaturgique, lieu à remplir constamment, à redéfinir en fonction du regard des spectateurs qu’il faut entraîner dans l’illusion. Il rappelle ici que l’acte de création demande une pureté, une spontanéité enfantine. Et ses personnages de métalleux chevelus de se comporter souvent comme une bande de gamins sur un terrain de jeu, interpellant une adulte venue les surveiller un instant : « Isabelle, viens voir ! ».

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Isabelle va tester toutes les attractions de ce parc à thèmes itinérant où la nature sublimée reprend ses droits ainsi que la démarche contemplative et ludique de l’Homme : le ventilateur devient le symbole du vent et de l’air, le jet d’eau celui de l’élément aquatique. Dans un délire de neige factice et de bulles de savon, sur une voiture transformée en colline blanchie de givre, dans cette forêt enchantée, le chien, acteur à part entière de la distribution, incarne l’élément incontrôlable tout en faisant le lien avec la célèbre gravure de Durër un instant projetée comme une référence.

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Durant une heure et demi, on rit des trouvailles, de l’ingénuité et de l’acuité de ces doux rêveurs aux cheveux de Mélusine. On se prend au jeu de savoir quelle sera leur prochaine invention, tandis que la bande son alterne musique médiévale et succès d’AC/DC. Les dialogues, dépouillés, laissent la part belle à l’improvisation, et ce n’est pas un problème d’aller brancher l’ordinateur sur une prise cachée entre les arbres, de replier la cotonnade qui imite la neige floconneuse ou de jouer « Still loving you » de Scorpions à la flûte à bec d’écolier (un moment d’anthologie).

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Le tout se conçoit comme un questionnement de ce qui fait notre rapport au réel et cette capacité unique que nous avons de nous en éloigner pour le dépasser et le réinventer. Une prise de risque évidente qui ne peut que perturber ceux du public habitués aux codes de représentation du théâtre classique ou des pièces de boulevard où l’intrigue se veut vraisemblable et logique. Or l’historiette comptée par Quesne jamais n’interpelle les adultes que nous sommes mais malicieusement se tourne vers les enfants que nous avons été.

Et plus si affinités

http://www.cdrtours.fr/spectacle/la-melancolie-des-dragons

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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