Documentaire Rude Boy Story … du point de vue de Dub Inc.

Interview préparé avec Benjamin Ancel, réalisé par Delphine Neimon

Bah oui, on n’allait pas aborder le sujet sans leur demander. Ce sont quand même les principaux intéressés. Shootés, filmés, suivis, collés par la caméra pendant deux ans : un challenge pour ces messieurs assez timides qui ont toujours reculé devant l’idée même du clip (ils n’en ont qu’un à leur actif, en 14 ans d’existence, c’est minime), par refus de scénariser leur musique et de s’enfermer dans une image prédéterminée.

Autant vous dire que confier cette image à Kamir Meridja a été une décision délicate et un véritable vote de confiance (dixit le principal intéressé). Et qu’il a fallu bien des découpes et des heures de montage pour que le réalisateur arrive à un résultat satisfaisant qui retranscrive ce que représentent véritablement ces dingues de musique, capables d’aller jouer avec le même plaisir dans les rades d’inde ou de Colombie comme sur les scènes des plus grands festivals.

Mission accomplie : le film commence à tourner, la sortie DVD est prévue pour Mai 2013. Une évolution que Dub Inc observe et soutient sans pour autant s’imposer. Un équilibre très particulier qui reflète l’esprit d’indépendance du groupe, comme nous l’a expliqué Zigo, le batteur, qui a très gentiment accepté de répondre à nos questions.

Entretien.


Comment avez-vous vécu la présence de la caméra ?

Sur scène ce n’était pas un souci du tout, on était dans notre truc, on ne s’en occupait pas trop, on n’avait pas de rôle à jouer. Par contre, le reste du temps, dans le bus sur la route, ça a été très compliqué. Kamir essayait de nous faire parler, on est très timide face aux caméras, ça fait 14 ans qu’on existe, on n’a qu’un clip, on a toujours eu beaucoup de mal avec l’audiovisuel. Il a fallu six mois pour qu’on se décontracte ; ça a été progressif. Je suis un de ceux qu’on voit le plus parler dans le film mais j’ai mis du temps. Au début j’avais des fous rires.

Qu’est-ce que ce tournage vous a appris ? Vivez-vous votre musique, votre rapport à la scène différemment maintenant ?

Nous, ça nous a apporté une sorte d’archivage. Un témoignage de ce qu’on fait. On a tous conscience d’avoir beaucoup de chance dans ce qu’on vit. Avoir ça pour témoigner de notre vie de groupe indépendant, c’est assez sympa. Mais pour nous, en tant que musicien, ça reste quelque chose d’anecdotique. Kamir a arrêté de tourner et pris le film à bras le corps, nous on a continué de jouer. Nos projets à nous ne sont pas dans le film, mais dans nos albums, nos concerts. On a essayé de le soutenir quand le film est sorti à Saint Etienne et Paris, d’être présent sur les projections. Mais on a un tel emploi du temps que le film reste une anecdote pour nous.

Selon vous, ce film est-il une biographie ? Un documentaire sur un nouveau mode de développement ? Une conception différente de la musique ? Ou une revanche sur l’indifférence des média ?

On n’aurait pas accepté de le sortir si le sujet principal avait été Dub Inc. Le sujet c’est le fait d’être un groupe indépendant, ça va même plus loin, c’est d’être indépendant dans un système global. Ce qui est important dans ce film, c’est de montrer aux gens que malgré les idées reçues sur un parcours à suivre pour réussir, il existe des solutions alternatives, avoir fait les choses en commun, avoir avancé en bande de potes en s’éclatant, … pour nous le sujet principal c’est l’indépendance. Il y a un message d’espoir et n’importe quelle personne s’y retrouve. C’est ce qui me fait plaisir avec ce film.

Par contre le gros trip compliqué à gérer, c’est cette partie où on nous voit très frustrés de ne pas intéresser les média, et en fait on ne se rend pas compte que cet état d’esprit n’a duré que quelques mois et n’est pas constant. Nous portons très peu d’importance à ça, quand on nous propose une interview intéressante avec des journalistes motivés, nous la faisons avec plaisir mais nous n’allons pas nous forcer à faire des interviews qui ne nous intéressent pas. On est tellement bien avec notre public sans avoir à justifier nos choix artistiques et de développement … quelque part on se comprend avec le public, nous sommes nous-mêmes fans, nous supportons des groupes, nous comprenons donc ceux qui nous épaulent.

La première partie du film évoque le tissu associatif stéphanois. On sait que les assos jouent un rôle essentiel dans les premiers pas des groupes émergents. Or elles sont les premières à souffrir de la crise et des restrictions budgétaires. Comment regardez-vous ce phénomène ?

C’est vrai que maintenant on s’est un peu éloigné du milieu associatif vu qu’on est producteur des tournées, on fait tout seuls. J’ai l’impression qu’il n’y a plus d’assos, autour de chez nous il se passe nettement moins de choses qu’il y a dix ans, il y a moins de vie, moins d’effervescence. C’est très dur pour les groupes qui commencent de trouver des concerts. Quand on a commencé en 99/2000, on cherchait plus des assos qui organisaient, il y en avait plein sur toute la région, et ça a l’air en diminution, je ne saurai pas expliquer le pourquoi. Après c’est sûr la crise du disque a un impact, il y a une saturation des programmations, les petits groupes ont beaucoup plus de mal à se caler sur des premières parties.

Qu’est-ce que ce film a changé pour vous ? Vous a-t-il ouvert des portes ? Si oui lesquelles ?

Il va falloir attendre un petit peu pour mesurer l’impact du film sur la vie du groupe, pour le moment on ne peut pas dire que ça a changé quelque chose pour nous, soit on est sur la route soit en studio en train de faire de la musique. Le film va informer beaucoup de gens sur notre fonctionnement, notre mode de travail. Après médiatiquement parlant, j’ai l’impression que quelque chose s’est passé, des émissions, des radios nous ont sollicités pour des interviews par rapport au film, on a également eu de très mauvaises critiques, notamment dans Le Monde. Pour nous ce n’est pas grave mais c’était plus du venin. Pour le moment c’est sorti en salle, mais on a fait que 5000 entrées, on s’attendait à plus, vu notre public. Après la sortie en DVD, ça va probablement grossir. Pour l’instant on ne se rend pas compte, on a besoin que le film soit plus vu pour avoir une idée. Il y a une équipe derrière le film qui se bouge pour qu’il soit vu, nous on les laisse faire. Nous ce qu’on espère c’est surtout que ça puisse un peu guider d’autres groupes, d’autres gens sur une façon de bosser différente.

Etes-vous satisfaits de la qualité du son, de la manière dont votre musique est restituée dans ce film ?

Pas mal ouais, ils se sont bien débrouillés, Kamir a bossé avec notre ingé son, ils ont mixé dans un bon studio à Lyon. Après on est super perfectionnistes, donc ça peut toujours être mieux. Mais dans l’ensemble Kamir a su restituer l’énergie de notre musique en concert. Après il y a u peu trop les mêmes morceaux en live. Mais globalement c’est très bien restitué.

En quoi votre exemple de développement peut aujourd’hui constituer un modèle pour les jeunes artistes ? Ce film est-il un bon moyen de diffuser le propos ?

Moi je pense que oui. Le film peut être un moteur pour des jeunes groupes. Après le piège, ça serait de se calquer sur nous. Nous avons eu de la chance dans notre façon de faire, on a organisé le meilleur système pour nous, chacun doit ensuite trouver son propre équilibre. On peut s’en sortir sans média, sans gros label, sans maison de disque, du moment qu’on est passionné et qu’on aime la musique. Dans le groupe, on le sait ; si demain ça s’arrêtait, on prendrait toujours du plaisir à jouer dans les bars. Bien sûr on savoure chaque scène, chaque tournée. Mais l’essence de notre métier, c’est de jouer où que ce soit, dans n’importe quelle condition.

Avez-vous conscience qu’un tel film peut s’inscrire dans l’Histoire de la musique ? L’un de nos premiers sentiments à la fin de ce film a été de nous dire que ce film pourrait servir de « référence » pour tous les groupes en développement, pour tous les aficionados de musique. La qualité de réalisation, de production permet au film de s’inscrire dans la durée. Qu’en pensez-vous ?

A la genèse du projet, j’étais très demandeur car j’ai toujours été fan de documentaires sur les groupes de musique et je trouvais qu’il y avait un truc à dire sur notre vie. Et Kamir a su approfondir le sujet à tel point qu’il en fait oublier le nom du groupe. Pour moi ce n’est pas un produit de promotion. C’est prétentieux de dire qu’il va traverser les années, après il montre un modèle économique. Quand je vois le film, je me dis qu’au début du groupe, j’aurais bien aimé voir ce type de film qui montre de l’espoir, des choses possibles, de l’amusement, des frustrations aussi. On n’aurait pas accepté de sortir le film si ça n’avait parlé que de nous uniquement.

Merci à Zigo pour son temps et ses réponses.

Et plus si affinités

www.dubinc.org

www.rudeboystory.com

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com