
Des “plombiers” pour colmater les fuites
C’est ainsi que Howard Hunt et G. Gordon Liddy se baptisent, allant jusqu’à fièrement afficher cette qualification sur la plaque qui orne l’entrée de leur bureau à la Maison Blanche. Ces deux anciens agents (de la CIA pour l’un, du FBI pour l’autre) ont initialement été recrutés pour éviter les fuites d’informations compromettantes dans les médias. C’est qu’au cœur du pouvoir, on se remet mal de la diffusion des Pentagon papers en une des grands quotidiens nationaux, New-York Times et Washington Post en tête. Et des infos compromettantes, on en a beaucoup, beaucoup en réserve.
Du coup, on prend désormais les devants. Mission pour le binôme Hunt/Liddy : empêcher que d’autres grandes magouilles du gouvernement soient divulguées à la presse par un lanceur d’alerte en quête de justice. Et pour ce faire, les deux barbouzes ont carte blanche. Seulement voilà : ce n’est rien de dire que ce sont des zéros pointés. Obsédés par leur vision d’une Amérique conservatrice et anti-communiste, paranoïaques au possible, patriotes jusqu’au fanatisme, Hunt/Liddy multiplient les opérations clandestines grotesques pour discréditer les opposants à Nixon. Et c’est là qu’on apprend que l’effraction ratée du Watergate, qui fera basculer l’Histoire, n’est que le point d’orgue d’une longue série de ratages.
Ubu roi version USA
Des ratages dignes d’un numéro de clowns. The White House Plumbers se distingue de récits plus sérieux comme All the President’s Men, en prenant carrément le contre-pied de l’approche press movie: ici l’affaire du Watergate apparaît pour ce qu’elle est : une farce. Bévues énormes, égos surdimensionnées, convictions absurdes… c’est Ubu roi version USA ! Avec à la clé une morale mémorable : la chute d’un régime se joue certes dans les hauteurs du pouvoir, les colonnes d’un journal … mais aussi via les décisions incongrues de sous-fifres convaincus d’avoir raison.
Alex Gregory et Peter Huyck à la création, Woody Harrelson en Hunt, Justin Theroux en Liddy, le duo fonctionne à merveille pour camper ce couple improbable et fusionnel. Ajoutons entre autres Lena Headey, Ike Barinholtz, Domhnall Gleeson, Judy Greer à ce casting flamboyant. La série repose sur des bases plus que saines pour donner à voir ce côté burlesque/cartoonesque totalement inattendu mais véridique (chaque épisode se termine par un encart soulignant la véracité des faits relatés, histoire de bien enfoncer le clou, de souligner que si un scénariste avait inventé pareille intrigue, on lui aurait jeté son texte à la figure).
Une caste profondément pourrie
On rit, on rit jaune, mais on rit. Et plus on rit, plus on est mal à l’aise. Parce que les “plombiers” sont ridicules. Parce que leur ridicule va engendrer un séisme politique majeur. Parce qu’avec leur incompétence crasse, ils vont entraîner leurs familles, leur pays dans leur chute. Aveuglement idéologique, radicalisation insidieuse, extrémisme politique, les mécanismes du fanatisme sont ici autopsiés avec beaucoup d’acuité. La corruption également. Le cynisme dirigeant aussi : les cinq épisodes de cette fresque tonitruante mettent en avant une constellation de scandales composant les racines de ce monument de connerie qu’est le Watergate.
On en parle peu ou pas, mais mises bout à bout, ces affaires éclairent le profond pourrissement d’une caste prompte à tous les coups bas pour conserver sa position dominante. Quitte à envoyer au casse-pipe des pauvres gars qui croient en un président qui va les abandonner sans aucun scrupule. Comme l’explique très bien la conclusion de la série, Nixon, s’il démissionne, ne sera jamais poursuivi, ne fera jamais de prison, contrairement à ses hommes de main. Il y a dans ce récit un peu de la morgue de James Ellroy, fin narrateur des trafics secrets propres au pouvoir américain ; il y a aussi un lien intéressant avec la série Gaslit, une approche satirique et un regard complémentaire sur les dommages collatéraux.
Les hommes du président furent eux aussi frappés de plein fouet. Abandonnés à leur sort. Oubliés, méprisés par un président qu’ils adulaient, prêts à tout pour le conserver à sa place alors qu’il était déjà certain de remporter le pouvoir. On les devine dès les premières images incompétents et obtus, on les découvre au fil de leur déchéance naïfs et manipulables. Comme quoi il ne faut jamais vénérer un politique, quel qu’il soit ?
Et plus si affinités ?
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