
« Martha avait raison ». Ces mots, gravés en grosses fleurs blanches sur une couronne mortuaire concluent la série Gaslit. « Gaslit », « manipulé » en anglais. Manipulée, Martha l’a en effet été et de la pire des manières. Martha, c’est Martha Mitchell, l’épouse de John Mitchell, le ministre de la Justice qui a orchestré dans l’ombre et sur ordre du président Nixon l’opération « Gemstones », opération qui se conclura par le scandale du Watergate et la démission du dit Nixon. Intelligente mais un peu trop grande gueule quand il s’agit de s’adresser aux médias, Martha a vite compris l’implication de son mari. Ce dernier va alors tout faire pour la faire taire. Tout. C’est de cela dont parle Gaslit.
Critiquée, blacklistée, gaslightée
Là où Les Hommes du président de Pakula abordait le scandale du Watergate du point des journalistes qui l’ont révélé dans les colonnes du Washington Post, la série Gaslit nous entraîne dans les coulisses de cette affaire politique avec pour objectif d’en analyser les rouages et d’en dévoiler les dommages collatéraux. Martha Mitchell fait partie de ces dommages collatéraux, et la manière dont elle va être traitée illustre magistralement le climat qui règne alors dans la proximité d’un Nixon obsédé par la perspective de sa réélection.
Critiquée, blacklistée, cette républicaine convaincue a horreur du mensonge. Prête à témoigner sur l’implication du président dans la tentative de mise sur écoute de l’équipe du parti démocrate, elle va être muselée par son propre époux, qui ira jusqu’à la quitter après l’avoir fait séquestrer. Considérée comme folle, irresponsable, alcoolique, elle y laissera son couple, sa santé mentale et sa vie. Pour défendre la vérité, bien avant que le duo Woodstein ne mette son nez dans les barbouzeries nixoniennes. Une lanceuse d’alerte donc, volontairement gaslightée, sacrifiée sur l’autel du secret d’état.
Un aveuglement fanatique
Sacrifiée par un mari aimant certes, mais littéralement aveuglé par un Nixon charismatique, que tout son entourage veut protéger comme s’il était la seule chance de survie d’une Amérique conservatrice largement ébranlée par la guerre du Vietnam. L’ordalie de Martha Mitchell met en relief cet aveuglement généralisé, proche du fanatisme et qui flirte avec la bêtise la plus absolue. Car dans leur désir de démolir un adversaire pourtant très faible, Mitchell et ses conseillers de l’ombre vont recruter des incapables, extrémistes de droite et autres ex-séides de la CIA et du FBI, qui vont cumuler les bourdes jusqu’à se faire pincer en flagrant délit, ce qui est un comble.
En huit épisodes trépidants, Gaslit démonte une chronologie mortifère sur fond de hits 70’s, scrutant cette histoire par le petit bout de la lorgnette. Lorgnette dans laquelle apparaissent tour à tour les acteurs principaux et secondaires de ce mélodrame qui ferait hurler de rire s’il n’était pas si choquant de violence et d’hypocrisie. Car les hommes du Watergate ne sont pas des cerveaux machiavéliques mais des bras cassés, arrogants, machistes et grossiers, prêts à tout pour défendre « leur camp », jusqu’à l’absurde. S’ils ratent leur effraction comme des amateurs, ils persistent, s’enfoncent, mentent, écrasent, jusqu’à tout faire exploser. Et sacrifier carrière, épouses, familles, collaborateurs, témoins, qui subissent sans rien dire ou sont réduits au silence quand ils font mine de se rebeller.
Mélange des genres
Si on rit parfois, c’est jaune. La plupart du temps, au fil de ce récit cynique, on serre les dents. La réalisation, d’un réalisme confondant, joue avec les codes du thriller politique, du soap opera et du drame intime. Pareil mélange des genres donne une singulière et savoureuse épaisseur à ce théâtre social doublé d’un drame humain et d’une sévère leçon de démocratie pervertie. Pour pimenter le tout, un casting flamboyant dominé par une Julia Roberts à la fois insupportable, pathétique et touchante, un Sean Penn méconnaissable, glaçant de brutalité. Big up du reste à Shea Whigham qui plante un Gordon Liddy incroyablement loufoque et sauvage.
Big up également au scénario qui très habilement replace cette historie dans une perception plus large d’une Amérique où il ne fait guère bon être femme ou racisé. Une Amérique 70’s qui tend un miroir peu flatteur à celle d’aujourd’hui, et c’est justement le but. La figure de Martha Mitchell, ici réhabilitée, illustre le destin des lanceurs d’alerte dans des systèmes corrompus flirtant ouvertement avec le fascisme et la coercition. « Gaslightée » au sens propre, Martha Mitchell ressort de ce récit haut en couleurs et en émotions comme une figure de courage et de lucidité. Un exemple ?
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