Frankenstein version Factory : chair froide, nihilisme chic, un cauchemar signé Paul Morrissey

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affiche du film chair pour frankenstein

On enchaîne sur les boulettes. Padmé Purple coupable d’avoir traité « Frankenstein selon la pop culture » sans évoquer le Rocky Horror Picture Show … ni De la chair pour Frankenstein. Un blasphème culturel !!! Véritable pendant du film culte du tandem O’Brien/Sharman, Flesh for Frankenstein balaie glam, paillettes et joie transgressive, pour se positionner résolument et sans complexe sur l’autre versant des années 1970. Le côté obscur. Celui où Frankenstein ne danse pas, ne libère personne, ne célèbre rien. Celui où le mythe devient un théâtre de la chair, un miroir brutal et cynique d’un monde sans illusions.

Bienvenue dans le Frankenstein version Factory.

Paul Morrissey, la Factory et la fin des illusions

Petite précision, histoire de dissiper un malentendu. Le film qu’on a surnommé Andy Warhol’s Frankenstein n’est pas réalisé par Andy Warhol. Le nom est là comme un label, une signature marketing, une caution Factory. Le véritable maître d’œuvre, c’est Paul Morrissey, cinéaste underground, collaborateur régulier de Warhol, esprit acide et profondément désenchanté à qui l’on doit entre autres la trilogie Flesh – Trash – Heat (1968) ou Du sang pour Dracula (1974). En 1973, deux ans avant que Frank-N-Furter ne débarque en corset sur les écrans, Paul Morrissey livre donc sa version du mythe érigé par Mary Shelley (également connu sous le titre Andy Warhol’s Frankenstein).

Même décennie, même volonté de dynamiter le mythe, mais radicalement autre chose. Ici, pas de rituel collectif joyeux. Pas de glamour. Pas de libération. Juste une grimace glaciale, une humanité réduite à l’état de matière première. A l’aube des 70’s, la contre-culture a déjà commencé à se fissurer. Les utopies des années 1960 se sont fracassées contre la guerre, la violence, le cynisme politique. La Factory n’est plus seulement un terrain de jeu pop : c’est un observatoire cruel des dérives du pouvoir, du désir et de la marchandisation. Morrissey filme un monde où plus rien ne croit à la transcendance. Ni l’art, ni la science, ni la morale ne sauvent qui que ce soit. Tout est sale, tout est intéressé, tout est voué à la décomposition. Son Frankenstein naît de ce climat. Et il en porte toutes les cicatrices.

Udo Kier : Frankenstein comme prédateur aristocratique

Oubliez immédiatement la figure romantique du savant tragique. Ici, le baron Frankenstein, incarné par le sombre, halluciné et regretté Udo Kier, est un prédateur froid, un aristocrate décadent et incestueux obsédé par la pureté, la reproduction et le contrôle absolu. Son objectif ? Créer une race parfaite. Masculine, docile, fonctionnelle. Pour ce savant, la science constitue un instrument de domination. Point barre.

Udo Kier compose un personnage glaçant. Distant, méprisant, sexuellement mécanique. Il n’y a chez lui ni passion véritable, ni culpabilité. Seulement une obsession : assembler, corriger, améliorer. Les corps (notamment féminins) deviennent des stocks de pièces détachées ; les êtres humains, des matériaux interchangeables. Contrairement à Frank-N-Furter, qui déborde de désir et de théâtralité, ce Frankenstein-là est vide de joie. Le pouvoir sans le plaisir. La maîtrise sans l’ivresse. Une figure monstrueuse non pas par excès, mais par absence d’empathie.

La chair comme matériau : un Frankenstein sans métaphysique

Ce qui frappe immédiatement dans Flesh for Frankenstein, c’est sa relation au corps. Ici, le corps n’est ni sacré ni symbolique. Il est littéralement de la viande (d’où le titre). La chair est filmée comme quelque chose qu’on découpe, qu’on assemble, qu’on jette. Les corps féminins sont fragmentés, désindividualisés, réduits à leur fonction reproductive. Le grotesque est omniprésent, souvent jusqu’à l’insoutenable, mais toujours teinté d’un humour noir féroce.

Morrissey ne cherche pas à choquer gratuitement. Il met à nu une logique : celle d’un monde où le corps devient marchandise, où la science sert les fantasmes autoritaires, où la domination masculine s’exerce sans même se cacher. Ici, Frankenstein ne se demande jamais s’il a le droit de créer la vie.
La question morale n’existe plus. C’est précisément ce silence éthique qui rend le film si perturbant.

Un Frankenstein politique, sans discours explicite

Flesh for Frankenstein est profondément politique, mais à la manière la plus inconfortable qui soit. Morrissey ne délivre aucun message clair, aucune morale rassurante. Il expose la pourriture, point. Derrière l’obsession de la pureté et de la reproduction se dessinent des échos évidents : eugénisme, autoritarisme, fantasmes de contrôle total, peur de la contamination.

Le film respire la fin des illusions occidentales. L’Europe qu’il met en scène est décadente, figée dans une aristocratie grotesque, incapable de produire autre chose que des monstres. La science, loin d’être salvatrice, devient l’outil d’une violence froide et systémique. C’est un Frankenstein sans rédemption. Sans catharsis. Sans espoir.

Un film culte… mais profondément mal aimé

Contrairement à The Rocky Horror Picture Show, Flesh for Frankenstein n’a alimenté aucun rituel collectif. Il n’appelle pas le déguisement ni la fête. Il repousse, volontairement. Le film a longtemps été censuré, tronqué, projeté dans des versions dégradées. Sa réputation sulfureuse, sa violence graphique, son humour malsain l’ont cantonné à un public restreint, souvent composé de cinéphiles avertis et d’amateurs de cinéma underground. Et pourtant, il est devenu culte. Un culte d’initiés, discret, inconfortable, sans nostalgie joyeuse. Un film qu’on admire plus qu’on ne l’aime, qu’on respecte plus qu’on ne chérit.

Impossible de ne pas mettre en regard Rocky Horror et le Frankenstein de Morrissey. Ils appartiennent à la même époque, mais proposent deux réponses radicalement opposées au mythe. Là où Rocky Horror célèbre la transgression joyeuse, Morrissey montre la domination nue. Là où Frank-N-Furter déborde de désir, le baron Frankenstein le neutralise. Là où l’un invite à la participation collective, l’autre enferme le spectateur dans un malaise solitaire. Pourtant, les deux films partagent un point commun essentiel : ils refusent la version morale et édifiante de Frankenstein. Ils brisent le mythe pour mieux révéler les tensions de leur époque.

Frankenstein, version désenchantée

Avec Flesh for Frankenstein, Paul Morrissey ne modernise pas le mythe : il le désenchante radicalement. Brutalement. Il retire toute illusion de grandeur, toute possibilité de rachat. Il montre un monde où le monstre n’est pas une erreur tragique, mais le produit logique d’un système malade.

Ce Frankenstein-là ne vous demande pas de l’aimer. Il vous demande de le confronter sans ciller. Et c’est précisément pour cela qu’il reste, plus de cinquante ans plus tard, aussi inconfortable, aussi dérangeant, aussi nécessaire.

Et plus si affinités ?

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Padme Purple

Posted by Padme Purple

Padmé Purple est LA rédactrice spécialisée musique et subcultures du webmagazine The ARTchemists. Punk revendiquée, elle s'occupe des playlists, du repérage des artistes, des festivals, des concerts. C'est aussi la première à monter au créneau quand il s'agit de gueuler !