
Carmen : 150 années de bonheur pour la gitane la plus célèbre du répertoire lyrique ! Happy birthday !!!! Icône féministe sacrifiée sur l’autel du masculinisme crasse, l’héroïne que Bizet a piqué à Mérimée fait encore et toujours tourné les cœurs et les têtes. Passons sur le nombre de metteurs en scène qui l’ont déclinée à leur sauce, la foultitude de cantatrices qui lui ont prêté leur voix. La question est : pour celles et ceux qui n’ont qu’une vision très floue de la chose, quelle version est la plus adaptée pour s’y mettre et savourer au mieux ce magnifique et si terrible opéra ? A mon sens il n’y a que le Carmen de Francesco Rosi.
Une sordide histoire de féminicide
Déjà un petit pitch pour les néophytes : nous sommes en Andalousie au XIXe siècle. Don José est un brigadier sans histoire. Il est censé épouser la jeune et innocente Gabriella, sa petite voisine de village. Mais c’est sans compter avec la superbe, impétueuse et indomptable Carmen. Le militaire croise la sulfureuse gitane qui travaille dans une fabrique de cigarettes juste à côté de sa caserne. Il l’arrête après qu’elle ait agressé une de ses collègues.
Elle le séduit, il la laisse s’échapper, est puni pour sa négligence. Deux mois de mitard plus tard, il retrouve la belle qui se donne à lui. Une grande histoire d’amour qui ne va guère durer. Carmen le quitte. Don José, fou de désespoir et de frustration la tue au sortir des arènes. Fin de l’histoire. Cela tient sur un timbre poste, c’est une sordide histoire de féminicide.
Une reconstitution réaliste
Sauf que Bizet en a fait un chef-d’œuvre. Un opéra de toute beauté, passionné, mordant, prenant aux tripes, dont les airs vrillent le cerveau, restent en mémoire. Un opéra qui transpire l’Espagne de Goya, la fièvre andalouse, un vent de liberté, de folie. En 1984, Francesco Rosi, cinéaste italien de renom à qui l’on doit Le Christ s’est arrêté à Eboli et Main basse sur la ville, met en images cette histoire en la replaçant dans son cadre initial : l’Andalousie. Et c’est juste génial.
Son Carmen respire la poussière, le soleil ardent, les ombres des oliviers, le parfum des roses, la nuit épicée et torride, les échos du flamenco. La culture ibérique, vivante et passionnée, transparaît dans chaque cliché, chaque paysage, chaque décor. Ce travail de reconstitution impressionnant mise sur le réalisme : pas d’ouvrières en beaux costumes mais en guenilles, les arènes du dernier acte sont celles de Ronda, d’époque. Et ainsi de suite.
Une approche à la fois crue et enivrante
L’effet est d’autant plus sidérant que le casting est crédible, porté par la direction de Lorin Maazel qui mène l’Orchestre National de France dans une version ample, énergique, parfaitement enregistrée. Placido Domingo est plus que crédible dans le rôle d’un Don José complètement dépassé par cette amour qui le frappe et le bouffe de l’intérieur, Ruggiero Raimondi a la morgue et l’élégance d’Escamillo. Et pour incarner Carmen, Julia Migenes-Johnson, fine, brune, sourire ravageur, allure provocante, voix envoûtante.
Un trio de très grands interprètes pour une approche naturaliste, tout à fait vraisemblable. Qu’on se souvienne du moment où Carmen et ses amies viennent prier une statue de la Vierge qui pleure : la manière dont elles l’encouragent, leurs cris de joie, les fleurs qu’elles lancent, la pauvreté de leur mise qui contraste avec leurs sourires, c’est là la volonté de vérité du cinéaste qui propose une approche à la fois crue et enivrante de ce mythe.
Tout le film est à l’encan. Saturé de couleurs, de saveurs, de parfums. Traversé d’une sensualité incroyable, d’une violence à fleur de peau. Et qui donne vie à cette incroyable héroïne, à sa soif de liberté, son refus de la domination, quelle qu’elle soit.
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