Ed Kemper (2025) : anatomie d’un prédateur selon Chad Ferrin

The ARTchemists Ed Kemper 2025

Zoom sur le film Ed Kemper! Réalisé par Chad Ferrin, ce biopic retrace le parcours sanglant du « Co-Ed Killer » aka « L’Ogre de Santa Cruz ». Des surnoms forgés par des médias en mal de sensation, mais derrière ces appellations, il y a une réalité sordide que le film s’ingénie à restituer avec un réalisme aussi détestable que nécessaire. Et qui remet les pendules à l’heure.

Gestation d’une dérive criminelle

Un père absent, une enfance marquée par les abus : le moins qu’on puisse dire, c’est que les premières années de Kemper constituent un terreau plus que fertile pour sa dérive criminelle. Ferrin avec un œil expert trace les grandes lignes de cette gestation, en débutant par le meurtre fondateur, celui des grands-parents, que Kemper annonce à sa mère comme un défi. Tout est dit : sa carrière de serial killer servira d’exutoire pour s’émanciper d’une génitrice désaxée et castratrice dont il quête désespérément, sinon l’amour, du moins la reconnaissance.

Pas une excuse, me direz-vous, et vous aurez raison. Un psychologue conseillera au jeune Kemper rendu à la liberté après des années d’incarcération suivant ses deux premiers assassinats : « Surtout tenez-vous loin de votre mère », ce que le gamin ne fera pas. Le résultat, on le connaît : une dizaine de victimes, des jeunes filles mises à mort de la pire des façon, violées et démembrées post mortem, puis sa mère et une de ses amies. Le geste ultime, libérateur, puisque Kemper se rendra ensuite à la police pour aller croupir en prison.

Jouer à la poupée

La narration explore la transformation de Kemper en monstre. La barbarie des crimes, des dépeçages, des jeux sexuels nécrophiles sont abordés sans équivoque, le modus operandi relaté avec un réalisme prenant et écœurant. Ferrin capte l’horreur absolue que constitue ce type envahi par ses pulsions de mort. Maladroit d’abord, de plus en plus rôdé avec la pratique, froid, calculateur, désinhibé. Prenant de l’assurance quand il aborde ses proies mais grognant, hurlant comme un animal au moment de les mettre à mort.

Des victimes qui ne sont rien d’autres que des poupées, des jouets que Kemper, gigantesque (il faisait deux mètres de haut pour 136 kilos), photographie, déplace, découpe, baise à loisir avant de s’en débarrasser dans des sacs poubelles comme de vulgaires ordures. Choquant, c’est le moins que l’on puisse dire, d’autant que le réalisateur montre les choses sans les enjoliver. Pas de mise en scène baroque comme dans The Cell, de jeux d’ombre et de lumière comme dans Seven.

Une confrontation œdipienne

Là c’est brut de décoffrage, à la manière de Henry, portrait of a serial killer, mais en pleine lumière et sans s’appesantir sur les détails gore qui n’en sont que plus frappants. La focale est faite sur le comportement quotidien de ce garçon, qui fantasme sur l’éviscération du chat du voisin en bouffant ses céréales, qui se désape intégralement pour abuser les corps, qui annonce le plus naturellement à sa mère qui l’engueule de rentrer si tard qu’il n’a pas le temps, vu qu’il a tué et violé une jeune fille et qu’il veut aller se doucher.

Le film repose ainsi sur la performance pour le moins exceptionnelle de Brandon Kirk qui plante un Kemper d’autant plus effrayant que sa part d’humanité n’est jamais niée mais questionnée : est-il possédé ? Une victime ? Ou a-t-il le mal dans la peau naturellement ? Car d’autres que lui, maltraités, n’ont jamais sombré dans pareille violence. Alors pourquoi ? Face à lui, Susan Priver incarne Clarnell Strandberg, la mère dévoratrice. Leur confrontation, œdipienne en diable, est inscrite au cœur de cette course à la mort, comme une bombe à retardement.

Un danger constant

Cette course à la mort, on en sait l’issue. Pourtant, Ferrin arrive à nous faire frémir, sursauter. La mère, si elle est manipulatrice et alcoolique, n’en est pas moins futée ; elle comprend très vite que son fils a vrillé, elle cherche, elle veut savoir. L’ambiance en cet instant devient hitchcockienne. On sent la peur envahir l’espace, tandis que ce grand mec mal dans son corps évolue dans la maison. Dangereux, à l’affût, prêt à exploser n’importe quand.

Ferrin sait y faire pour nous transmettre cette angoisse, ce sentiment de danger constant. De fait, le tueur en série, sous couvert d’intégration, passe sa vie à se projeter dans les meurtres passés et à venir, expérimentant avec les dépouilles, conservant trophées et photographies de ses méfaits, fantasmant les passages à l’acte prochains. Ed Kemper est particulièrement juste à ce propos. Le film a également le mérite de refuser toute esthétisation, toute « romantisation ».

Clairement, il s’agit de pénétrer les méandres d’un esprit meurtrier, sans lui trouver d’excuses ni le rendre glamour. Impossible après avoir visionné ces images qui ne cachent rien du supplice enduré par les jeunes femmes qui eurent le malheur de croiser la route de Kemper. Et c’est cela qu’il faut retenir du film dans une période où le true crime constitue une industrie à succès trop souvent fondée sur le spectaculaire et le gore gratuit.

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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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