Une Intime conviction : à chacun sa vérité ?

17 juin 2018 : les épreuves de baccalauréat débutent par l’incontournable Philo. Et pour le coup, tout comme la pièce de Pirandello, Une Intime conviction servirait d’exemple approprié pour un sujet dédié à la justice, à la vérité, au doute … ou à la folie.

Vérité et obsession

Le pitch : accusé du meurtre de sa femme Suzanne dont on n’a jamais trouvé le corps, Jacques Viguier a été acquitté lors d’un premier procès. Mais, fait inédit, le parquet a fait appel, entraînant une seconde procédure. Nora, cuisinière de son état, jurée lors de la première audience et proche de la famille de l’accusé, est convaincue de l’innocence de l’accusé. Elle contacte un ténor du barreau pour qu’il prenne le dossier en main, l’épaule dans ses investigations, abat un travail de recherches et de recoupements énorme … et tombe progressivement dans l’obsession, y laissant son travail, mettant en péril sa famille, sa santé …

Cette obsession, le réalisateur Antoine Raimbault l’a ressentie en élaborant ce film judiciaire qui s’appuie sur des faits réels, reprend les minutes du procès, va jusqu’à citer les noms des personnes impliquées. Cette fascination presque morbide, il l’injecte au personnage de Nora, inspiré pour partie d’Émilie qui fut la compagne de Viguier durant cette période funeste. Mais Nora, c’est bien plus que ça, c’est la vérité en marche, le rouleau compresseur du doute devenu certitude, puis fanatisme. Au fur et à mesure de ses investigations, alors qu’elle épluche des centaines d’heures d’écoute, Nora va passer subtilement du statut de défenseur à celui d’accusateur.

Des complexités de la justice

Dans son viseur, l’amant de Suzanne dont elle est persuadée qu’il l’a tuée avant de faire endosser le meurtre au mari par tout un jeu de manipulation des témoins comme des policiers. Les preuves ? Aucune. Comme pour Viguier. Rien, pas un indice fiable, que des présomptions, des hypothèses. Logiques éventuellement, à explorer sans doute, mais nullement vérifiées. Et l’avocat de Viguier de remettre la donzelle en rail très brutalement, en confrontant son intime conviction avec l’objectif du procès qui est d’innocenter son client, tout en jouant des particularités d’un système judiciaire compliqué.

Cette chronique est d’autant plus sensible que le devenir de Suzanne Viguier demeure actuellement un mystère (40 000 personnes disparaissent par an en France, 10 000 ne sont jamais retrouvées comme l’indique le générique de fin). Pour servir ce récit délicat, Marina Foïs donne la réplique à Olivier Gourmet. La première construit un profil au bord de la rupture, malgré tout solide dans sa conviction, et qui est prêt à tout sacrifier pour ça ; le second pose un avocat endurci et solitaire, façonné d’après le charismatique Dupond-Moretti sans en singer les attitudes. Au cœur de leurs échanges, les méandres de la notion de justice.

Et l’innocence dans tout ça ?

Le tout engendre un film prenant, un true crime à la française qui se concentre uniquement sur l’épluchage du dossier et la quête de ses dysfonctionnements, sans jamais évoquer de scènes de violence, ni surenchérir sur les ressorts habituellement spectaculaires du thriller. Le réalisateur se focalise donc sur la montée de l’obsession, cette vibration toute particulière quand on a découvert un signe, qu’on a compris un élément, qu’on pense toucher au but … vibration fracassée sur la réalité d’un système judiciaire qui ne s’en contentera pas. Et l’innocence dans tout ça ? Que devient-elle ? Un élément secondaire ?

C’est ici qu’il convient de compléter le visionnage du film avec d’autres sources, ainsi le Faites entrer l’accusé consacré à cette affaire épineuse. Pour saisir le travail de restitution effectué dans le film de Raimbaut mais également pour en mesurer les écarts, et se faire soi-même son opinion. Et de se rappeler qu’on parle ici de faits véridiques. Pour information, l’amant a attaqué en justice le producteur et le distributeur du film début 2019 pour « atteinte à la vie privée par la reproduction des conversations téléphoniques intimes », ce qui relance le débat tout en ancrant le scénario d’Une Intime conviction dans cette spirale judiciaire.

Et plus si affinités

http://distribution.memento-films.com/film/infos/94

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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