Le temps des aveux : une part sombre de l’Histoire

Le Portail paraît en 2000 ; le livre refermé, Régis Wargnier décide de le porter à l’écran. Le récit de François Bizot sur sa captivité, sa relation avec le bourreau Douch, s’inscrivent en droite ligne de la thématique fétiche du réalisateur d’Indochine, Une femme française, Est-Ouest: la confrontation des cultures et la modification des rapports humains dans cette période trouble que fut la Guerre Froide et les conflits coloniaux.

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Une part sombre de notre Histoire commune d’humains avalés par la tourmente, dont le quotidien se brise soudain, au détour d’un chemin, dans une jungle touffue aussi tranquille et menaçante que les rebelles qui se saisissent de Bizot et ses assistants alors qu’ils se rendent dans un monastère étudier des textes sacrés. Ils n(ont rien fait et pourtant … C’est le début de longues années d’enfer, pendant lesquelles les Khmers rouges vont méthodiquement et avec fanatisme démanteler le Cambodge, détruire sa population.

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Un génocide que peu de cinéastes ont filmé, tant il laisse abasourdi par son mécanisme de folie : on se souvient notamment du redoutable et très poignant long métrage de Roland Joffé La Déchirure ou plus récemment du documentaire S21 la machine de mort Khmere rouge de Rithi Pahn, d’ailleurs impliqué dans le projet de Wargnier comme co-producteur. Le sujet fait peur dirait-on, car il implique directement la démesure de l’esprit, l’impossibilité de cerner cette logique paranoïaque d’autoflagellation, de soupçon constant, cette volonté d’épuration des consciences qui passe par la souffrance des corps pour alimenter l’idée abstraite de Révolution et de Parti.

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Wargnier, en choisissant de relater le parcours de Bizot depuis son enlèvement jusqu’à l’arrestation et au procès de Douch des années plus tard, évite le piège du voyeurisme facile et de la terreur des massacres pour investir dans la confrontation entre les deux personnages et l’évolution de leurs relations. Construit en trois temps, le film n’en est que plus précieux qui souligne le rapport de force à géométrie variable, l’angoisse latente dans la confrontation des points de vue, une communication parasitée par les croyances et les convictions, la tragédie des êtres découlant d’un délire qui très vite happe les plus stables, les plus raisonnés et les écrase impitoyablement.

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Il a fallu 14 ans à Régis Wargnier pour finaliser ce projet : il ne pouvait le faire tant que Bizot n’avait pas revu son bourreau. En 2011 c’est chose faite. Le film s’imprègne de cette attente, de cette lente gestation, un cheminement aussi posé que le héros, incarné par un Raphaël Personnäz exceptionnel de justesse, auquel Kompheak Phoeung donne la réplique dans le rôle de Douch qu’il compose avec la dignité et la retenue du néophyte puisque c’est ici sa première prestation d’acteur. Le réalisateur va scruter cet affrontement dans la beauté stupéfiante d’une nature tropicale, prolixe, irisée de lumière et de vent. Sans émettre de jugement, sans condamner. Observant pour comprendre.

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Avec en filigrane un message subtil : rien jamais ni l’horreur ni la destruction ne pourront freiner la force créative de l’homme. Les statues imposantes de la civilisation Khmer, l’analyse que l’anthropologue Bizot dresse du fonctionnement des révolutionnaires calqué sur celui ancestral des bonzes, l’infrastructure de Angkar, le parti communiste cambodgien, construite sur la répartition séculaire de la société, tout enracine cette prétendue révolution dans un passé, une continuité en place d’une rupture.

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Symbolique de la persistance et de la force du savoir, la présence discrète mais néanmoins emblématique de Kong Nay, maître du chapey, la longue cithare traditionnelle dont la pratique voisine au sacré. Rescapé du génocide, ce musicien célèbre promène son regard aveugle en deux temps du film, deux cérémonies de mariage, preuve que la folie des hommes jamais n’effacera l’art et l’amour.

Et plus si affinités

http://www.gaumont.fr/fr/film/Le-temps-des-aveux.html

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com