Le Désolé et L’Enchanté : Les Mille et une Nuits, suite et fin d’un cycle

Inutile de pavoiser. L’accueil public des deux premiers volets de la trilogie de Miguel Gomes n’est sans doute pas à la hauteur des attentes. Suite à la sortie de l’épisode 3 « L’Enchanté », retour obligé, si tout le monde suit, sur la deuxième partie sortie fin juillet : « Le Désolé ».

Beaucoup plus posé que « L’inquiet », ce second volume se distingue d’abord par une puissance formelle surprenante. Une mise en scène dépourvue d’effet clinquant, qui ne cherche pas en à en mettre plein la vue ou nous regarder de haut, mais qui déroule pourtant, sur plus de deux heures, des images et des séquences magiques. Reliant les paysages et les êtres vivants de la plus belle manière, tenant haut la main la promesse d’un tel projet : un portrait actuel du Portugal en prise directe avec la réalité, transformé en chasse au trésor poétique à travers l’œil d’un cinéaste. On retrouve également cet habillage (lettres en jaune tout au long des films pour son chapitrage), détail pop, propre à Gomes et à son admiration pour le cinéma de Wes Anderson dont les films sont toujours accompagnés d’informations ou commentaires drolatiques.

Et les histoires, les récits ? Simao, présenté en voix off par Shéhérazade comme un« fils de pute ultra raffiné », est en cavale, cerné par les drones de la police en pleine campagne. Roublard hédoniste et isolé, ce personnage symbolise à lui seul la tonalité rebelle et mélancolique des trois volumes. Marginal et contrebandier, mais futur héros du peuple. La juge et ses larmes, tentant de rendre justice dans un tribunal nocturne, en plein air. Désolée assurément, devant le chaos du monde où chacun a ses raisons de mal agir, emporté par la confusion. Chapitre exigeant, carnavalesque et humoristique où la parole est reine jusque dans le langage des signes. Une théâtralité, dont on ne raffole pas vraiment au cinéma, mais qui nous plonge ici dans une belle intensité.

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Est-ce le costume d’époque de la juge ? La truculence des dossiers judiciaires ? Ce segment nous fait en tout cas songer au cinéma de Manoel de Oliveira, austère en apparence, mais véhiculant nombre d’idées et de réflexions, un regard percutant et critique sur le monde. Avec Simao, c’était un autre géant du cinéma portugais qui planait légèrement au-dessus de la campagne : Joao César Monteiro. Sensation réconfortante de voir un cinéaste s’atteler à un projet pharaonique et revendiqué comme « ultra-contemporain », tout en traçant une ligne logique et émouvante avec l’histoire cinématographique de son pays.

Reste « Les Maîtres de Dixie », multitude d’histoires imbriquées dans l’immeuble d’une cité. Là-encore, un bloc narratif pas évident à appréhender pour le spectateur, mais qui représente un autre cœur du film. Dixie est un chien porte-bonheur, une chanson de Tim Maia « Que Beleza » accompagne sa rencontre avec le spectateur. Il hante véritablement l’immeuble, témoin des joies simples, de la solitude ou du désarroi de ses habitants. Dans l’ultime tour de force de ce second volume, il rencontrera même son double ou son ancêtre fantomatique.

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A travers ses déambulations et ses différents maîtres, c’est toute une population (essentiellement jouée par des acteurs professionnels, encore un paradoxe) qui prend sa revanche sur le cinéma. Qui aurait par exemple l’idée de filmer aujourd’hui Humberto et Luisa, vieux couple désabusé, fumant le soir au lit ? Pas de misérabilisme ici, juste l’honnêteté d’une bande-son qui ressort des hits FM des années 80 (Lionel Richie, Century) ou le rap d’un jeune locataire pour faire souffler un spleen extrêmement attachant dans ces appartements ou ces ascenseurs à l’abandon.

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Un troisième volume vous fera découvrir Shéhérazade, cette fois héroïne d’une histoire à part entière, des pinsonneurs et leurs oiseaux, et d’autres chansons … L’enchanté sera le feu d’artifice final de cette trilogie incroyable, pulvérisant nos idées reçues sur le film d’auteur européen bien comme il faut. Pas sûr qu’on y revienne ici, mais n’attendez pas un coffret DVD de fin d’année, qu’on annonce prestigieux, pour vivre cette expérience aussi réjouissante que déroutante, dans une salle de cinéma.

Et plus si affinités
http://www.shellac-altern.org/films/162

Thomas Malésieux

Posted by Thomas Malésieux