Klimt femmes : sous le masque trompeur de la docilité soumise

A l’occasion du Centenaire de la disparition du peintre autrichien Gustav Klimt (1862-1918), les éditions Hazan viennent de republier dans la collection Beaux-arts le beau livre illustré tout simplement intitulé Klimt femmes.

L’ouvrage s’ouvre sur un nu féminin, La Fable (1883), une œuvre de jeunesse peinte à l’huile, d’un peu plus d’un mètre de haut, destinée à illustrer une série de livres sur les allégories, représentant une jeune femme à la longue chevelure blond vénitien retenue en chignon, une cape en mousseline lui couvrant le dos mais dévoilant le reste de sa jolie personne – le pubis y compris, en l’occurrence ici rasé, comme le voulait la tradition picturale –, dans une composition où le corps est encore traité à la titienne, opposant la belle et la bête – un énorme lion vaincu reposant à ses pieds. D’autres animaux moins exotiques figurent dans la partie droite du tableau : un renard baillant aux corneilles et deux cigognes, l’une d’entre elles tenant en son long bec une grenouille. Il se clôt sur un détail du tableau tourbillonnant, déstabilisant, désorientant, Les Filles (1913), bacchanale saphique dans le style graphique moucheté de couleurs, caractéristique du singulier portraitiste. Dans la Vienne de Schnitzler et de Freud, Klimt traduit une relative émancipation des femmes au risque de heurter la censure des bienpensants, laïques ou religieux. Inutile de rappeler ici que les panneaux que lui commanda l’Université de Vienne pour orner le hall d’entrée firent un tel scandale qu’ils n’y furent jamais accrochés. Les autorités comme la presse de l’époque furent choquées par ce qu’elles estimèrent obscène. A partir de cette malheureuse expérience, le peintre refusa de travailler pour des commandes publiques, préférant vendre à de riches amateurs et mécènes.

Pour ce qui est du sujet du livre, récurrent, sinon omniprésent dans son œuvre, on se bornera à constater que le type de femme qui fascine Klimt est celle qui donne la sensation de s’offrir au regard, les lèvres entrouvertes, les yeux mi-clos, « sous le masque trompeur de la docilité soumise », ainsi que le souligne l’éditeur. Cette femme, toutes ces femmes immobiles aux courbures fluctuantes expriment leur désir mais également une part d’angoisse, parfois teintée de morbide. Ce corps, ces corps féminins traduisent une vision nouvelle d’appréhender le genre et même, une conception inédite de la beauté moderne. Les nouveaux canons sont proches de ceux encore en vigueur : la minceur, la délicatesse, la nervosité, la pâleur, le mystère, le défi, la bravade, l’ambiguïté, la toxicité, la décadence… Klimt exprime sa représentation de la femme par des moyens qui lui sont tout aussi, sinon plus, personnels. Artisan inspiré par le travail de son père graveur et doreur, il montre dès ses premières œuvres une technique picturale remarquable. Ses portraits sont alors dans l’esprit naturaliste (cf. son Portrait d’une dame, 1894). Progressivement, il fusionne ses deux talents qu’il a su longuement cultiver en compagnie de son frère Ernst et de leur condisciple aux Arts et métiers, Franz Von Matsch : l’ornement oriental, byzantin, abstrait et la figuration la plus réaliste, quasiment photographique.

A l’ère du cubisme et de l’art abstrait, Klimt a pu paraître anachronique, voire passéiste. En fait, il a anticipé sur les collages qu’un Braque et un Picasso n’emploieront que dans un deuxième temps. Klimt, comme Toulouse-Lautrec, comme Matisse, rompt avec la troisième dimension, ne fait plus que dans l’aplat, prend plaisir à marquer les contours, à cerner sa proie. Dans certains cas (Femme au chapeau et boa, 1909), une fraction de visage, de rose poudré, la lèvre supérieure sanguine, se détache du fond (ici, en l’occurrence, sombre). Dans d’autres (cf. le chef d’œuvre Adele Bloch-Bauer 1, 1907), le masque féminin paraît mortuaire, monochrome, livide, olivâtre et contraste avec un décor saturé de signes, de motifs antiques, d’enluminures. Quelle que soit la proportion entre le corps et le décor, c’est la chair qui, en dernière instance, prend le punctum.

Et plus si affinités

http://www.editions-hazan.fr/livre/klimt-femmes-nouvelle-edition-2018-9782754110471

Nicolas Villodre

Posted by Nicolas Villodre