Halle Saint Pierre : from Chicago to Hey 4, la joie carnassière de l’exclusion

Attention, petit lapin normo-pensant, ne mets pas tes mains dans la porte de l’art singulier, tu risques de te faire pincer très fort … et d’aimer ça, intensément … Pris en sandwich entre Chicago, foyer d’art brut et la quatrième édition de la tournante intellectuelle Hey, tu seras avalé – digéré -régurgité dans les méandres de la Halle Saint Pierre, au terme d’un voyage gastrique dont les sucs dévoreront ta perception écornée d’une réalité morose pour y superposer la vérité colorée de la folie à l’œuvre.

En accueillant ces deux manifestations, Martine Lusardy, grande prêtresse du temple, fait une fois de plus preuve d’un flair de limier artistique, donnant à voir les racines d’un champ d’expression et sa déclinaison dans le présent. Dans les ombres du rez de chaussée, les chantres de l’outsider art à l’américaine, tels qu’ils mirent la moderne et brutale Chicago en coupe réglée, initiant une école buissonnière qui ne voulut jamais dire son nom, avec comme figure emblématique le démesuré Henry Darger dont la saga mortifère inaugure un parcours serti de mille couleurs et menaces, comme une revanche en écho sur les horreurs de la vie.

Naïf, enfantin, incertain, le trait s’avère tranchant dans la constance, peu importe l’artiste présenté, en dépit des styles et des identités. Malgré une communication effrénée, et la volonté d’incarner un modèle de civilisation progressiste, les USA ne furent jamais un exemple de quiétude. Du fond de leur misère, de leur isolement et de leur folie, les artistes exposés nous le rappellent avec candeur et flamboyance, sans pitié aucune pour notre zone de confort qu’ils explosent dans la joie carnassière de leur exclusion … et leur descendance en fait autant à l’étage, pour preuve l’installation compassée de The Kid, « Rise and Rise Again Until Lambs Become Lions ».

Une des pièces majeures parmi les nouvelles trouvailles de Anne et Julien, désormais familiers des lieux, qui viennent en faire état à chaque nouvelle édition du rendez-vous Hey. Et parmi les artistes mis en valeur, des connaissances, The Kid donc mais également Mad Meg, Paul Toupet ou Yannick Unfricht qui cède aux sirènes de l’installation la plus chamanique qui soit. Par ailleurs d’autres valeurs en devenir qui se singularisent par leur décalage assumé : les explosions de couleurs de Nils Bertho, la hautaine Gorgone de Chen M, les dames du temps jadis et présent de Gérard Mas, les bébés bijoux de Betsy Youngquist et R. Scott Long, les délires entomologistes de Quan Wansanit Deslouis …

Un nouveau saut périlleux dans un art oxymorique, où les ténèbres et la lumière s’entendent à merveille pour écraser nos pattes de petits lapins imbus d’eux-mêmes, au chaud dans leurs certitudes et leurs illusions. Des illusions, les artistes exposés n’en ont plus ; avec un sens consommé du baroque et du spectaculaire, négociant avec leurs instincts psychopathes mais toujours avec élégance et un sens consommé du fabuleux, tous s’ingénient à nous écraser les phalanges, nous renvoyant chez nous complètement manchots de l’âme mais avec les yeux et le cœur beaucoup plus ouverts. C’est tout ce qui compte.

Et plus si affinités :

http://www.hallesaintpierre.org/

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com