Coronavirus : le grand scale up ?

Alors je vous le dis tout de suite, je ne suis pas une spécialiste. La social media evangelist, c’est Marie Dollé, ma complice rédactionnelle, une sacrée pointure dans le domaine, croyez-moi. Si vous doutez, lisez-la, ça devrait vite vous convaincre. Pire, vous convertir : Marie est une passionnée, et une très bonne prof. Elle m’a collé le virus ( désolée pour ce malencontreux jeu de mot, franchement), a affiné mon regard. M’a amenée à interroger davantage cette nébuleuse mutante qu’est devenu internet. Et il y a de quoi faire, à l’heure où le coronavirus (COVID19 pour les intimes) se répand un peu partout à la surface du globe … et de la toile.

Au commencement était la veille …

Nous suivions les choses de loin quand elles ont débuté, un peu comme tout le monde je pense, hormis les principaux intéressés, plongés du jour au lendemain dans le chaos. Et puis une info nous a fait tilter : l’annulation du MWC 2020. Un truc trop huge pour qu’on le laisse passer sans broncher. L’événement célèbre les télécommunications, il est international, incontournable, un phare dans l’économie actuelle où, rappelons-le, le marché du smartphone occupe une place enviable (dixit le combat de titans entre Huawei – 59 millions et des brouettes de modèles vendus en 2019 – et Samsung, pour bouffer la première place) ; annuler pareil rassemblement pour cause d’épidémie, c’était juste incroyable.

Du coup, nous avons commencé à plus nous concentrer sur le sujet, à tracer les hashtags dédiés, constatant qu’il y en avait chaque jour davantage, avec ou sans fautes d’orthographe, surfant entre des commentaires persos souvent justes, parfois affligeants de bêtise et de violence, des vidéos témoignant de la réalité de l’épidémie en Chine, redoutant les fake news et les théories complotistes, nous abonnant à des comptes d’épidémiologistes, de médecins, de spécialistes du secteur de la recherche virale, allant au passage consulter la presse étrangère, … Et là, on a senti le vent sinon de la panique, du moins du changement. Dissonance cognitive évidente entre les révélations de tout ce petit monde d’experts bien placés pour parler d’un sujet qu’ils étudient au quotidien et depuis de nombreuses années, et la presse généraliste ainsi que nos gouvernants, enclins, qui au sensationnalisme racoleur, qui au paternalisme rassurant et franchement déconnecté.

Nouvelle crise, médias en germe ?

La chose s’est envenimée avec l’apparition de comptes dédiés type :

  • Conflits @Conflits_FR qui je cite «Traque les conflits du globe en temps réel & en français. (Géo)politique, terrorisme, espionnage, cyber-sécurité, santé» (sympa, bien rassurant cette présentation, qui mêle des thèmes anxiogènes avant de nous parler principalement de pandémie) avec un lien vers un compte Télégram depuis que le thread Twitter a mystérieusement été suspendu, une journée durant.

  • COVID19INFO @covid19_info «Citoyen adepte du principe de précaution. Objecteur de conscience et relayeur d’infos sur #COVID19. Témoignages recherchés DM ou covid19info.fr@gmail.com» et le petit lien qui va n’avec : https://sites.google.com/view/covid-19-info/

  • COVID19-news @COVID19newsfr «Compte informatif sur l’évolution épidémiologique du #coronavirus COVID-19 en France #transparence ».

Trois cas parmi tant d’autres … Il y en a pléthore, poussés ces dernières semaines comme champignons sous la pluie. On ne sait pas trop d’où ils viennent, qui est derrière, ils démarrent en trombe ou plus doucement, mais tous exploitent la tendance #coronavirus dont le hashtag affiche à cette heure 34,7k de vues. De quoi être soudainement visible (vous n’avez pas remarqué que certains comptes faisant la promo de groupes de K Pop n’hésitent pas à utiliser le hashtag pour se mettre en avant, et qu’au milieu de courbes détaillant l’avancée de la maladie, de témoignages et de remarques, on voit débouler des boys bands à la mode asiatique se déhanchant en rythme et en costume dans une atmosphère de Star academy ? Et que dire du porno COVID19, franchement fallait y penser …), foutre la trouille, vendre n’importe quoi, monétiser sur un climat de suspicion … et relayer des infos de première bourre ?

Une nouvelle race d’analystes ?

En mode synthèse. Et en traçant les sources. C’est bien là le problème. Il suffit de consulter @Conflits_FR pour se convaincre que la pandémie est en marche. Certes le compte abat sa carte d’entrée de jeu : «Notre objectif est de créer un site internet afin de continuer à vous partager l’actualité internationale. Pour cela nous avons besoin de vos dons (pour l’entretien du site). Même 1 ou 2€ nous aideraient beaucoup. Merci» avec à la suite un lien vers un compte paypal sécurisé. Faut bien vivre. Un média douteux de plus dans la jungle d’un cyber-journalisme de façade où l’influenceur bouffe le reporter et son exigence de vérité ? Ou un nouveau business model pour une nouvelle race d’analystes qui profite de la vague Covid pour s’infiltrer en première ligne et faire ses preuves ?

Remy Buisine a commencé sa carrière en écumant Nuit debout, smartphone en pogne. Aujourd’hui, il est le fer de lance de Brut. média vidéo qui repense le socle de l’information en direct et renoue avec le grand reportage les pieds dans la boue et le sang (souvenez-vous de Robert Capa et Gilles Caron, on est dans le même esprit). COVID-19 ouvre une fenêtre de tir pour de jeunes citoyens, des observateurs de l’actu, des gens comme vous et moi qui veulent comprendre … et ont les outils pour. Ils restituent leur approche, docs à la clé. Cartes interactives suivant l’évolution du fléau, tableaux récapitulatifs du nombre de malades, de décès, de contaminés pays par pays, infographies en pagaille … les outils se multiplient, sourcés, construits avec sérieux, qui croisent les regards, donnent à voir une contamination à l’échelle mondiale.

Idem pour les lettres ouvertes de médecins lanceurs d’alerte, les articles dédiés, les conférences filmées …

Des cas de ce type, il y en a une blinde, qui démontre que les journalistes vont chasser sur les terres twitteriennes pour renifler l’air du changement et s’en inspirer.

La tech en embuscade

Avec en arrière plan une crise économique déjà bien amorcée, et qui trouve dans la maladie une aggravation certaine. Mise en quarantaine ou non (le grand débat de la phase 3, visiblement différemment traitée par la Chine, l’Italie et la France), on est parti pour une contagion tous azimuts avec son lot d’hospitalisations (pour ceux qu’on pourra admettre dans des services vite saturés et dépourvus de moyens), de confinements, de malades … Les entreprises vont prendre cher, avec un nombre grandissant d’employés parqués chez eux par le virus ; un gros rhume, prétendent les plus rassurants, mais vu les stats, le taux de contagion, le rapport malades/décès et pas mal d’autres paramètres avancés par les spécialistes, sans compter qu’on ne connaît au final pas grand-chose à cette saloperie et à ses retombées à long terme, il faut s’attendre à ce que ça ne soit pas la fête … ça va même être le bordel. Le bordel et une opportunité pour les plus agiles de montrer qu’ils sont parés et prêts au combat.

La Chine donc qui continue d’éduquer ses centaines de milliers de gamins par écran interposé, la Chine où le télé travail a pris naturellement le relais … Idem pour les GAFAM : Facebook vire les pubs vantant des gels anti-bactériens et des traitements douteux, Amazon refuse de livrer des produits venant des zones contaminées, Google zappe carrément les mots clés liés à la maladie pour enrayer la désinformation, propose des applications fiables relatives à la contagion. L’OMS a appelé les grands plateformes à coopérer ? Tout le monde a répondu présent. Qui raterait cette occasion de montrer patte blanche, de rebooster l’image de réseaux sociaux considérés comme au mieux des passoires, au pire des voleurs de datas et des manipulateurs d’esprit et de vote ? Et de s’affirmer comme des acteurs sociétaux d’envergure au côté des politiques et des pouvoirs publics (voire avant eux, pire à leur place dixit Grégoire Kopp, conseiller spécial d’Octave Klaba chez OVH dans son interview sur BFM Business ) ?

Le grand scale-up

S’imposer en première ligne comme une solution miracle dans le désert médical créé par des années de vaches maigres subventionnelles : c’est le but, l’objectif. Le secteur des nouvelles technologies est prêt à faire feu. Consultations en ligne pour palier la défection de personnels soignants immanquablement terrassés par l’infection (Doctolib s’apprête à ouvrir la téléconsultation gratuitement dixit Businessinsider.fr), applications détectant les malades dans la proximité, drones délivrant les médicaments et désinfectant les rues, bracelets magnétiques identifiant le patient et son degré d’infection, IA décelant le virus (la dernière trouvaille d’Alibaba) ou calculant le taux de propagation et devinant les zones d’inflammation à venir, scanner détectant la fièvre à distance … de la sci-fi ? Le pire des scénarios d’anticipation ? La Chine, mes p’tits choux, tout simplement, et à l’instant où j’écris ces lignes. Et si vous doutez, lisez « Chine : débauche de technologies pour faire face à l’épidémie de coronavirus », l’excellent article de Céline Deluzarche paru dans Futura Tech.

A croire que l’Empire du Milieu a converti l’épidémie en vitrine pour sa healthtech … Improbable ? Exagéré ? Tu délires, Delphine ? L’Art de la guerre, mes chéris, Sun Tzu encore et toujours, savoir faire d’une faiblesse une force. On sait que la Chine brigue le statut de première puissance mondiale, qu’elle est en fight avec les USA pour y parvenir. La crise sanitaire actuelle lui permet de montrer jusqu’où elle est capable d’aller pour y parvenir. Des hôpitaux construits en 10 jours clé en main, une population contingentée par la force des baïonnettes s’il le faut, une contagion qui ralentit … et une formidable capacité d’adaptation, avec des choix stratégiques musclés : une économie industrielle faussement à l’arrêt … qui met en scène sa transformation technologique sous les caméras du monde entier … une start-up gigantesque qui monte de division, un modèle qui se métamorphose sous nos yeux …

Tandis que l’Europe et les USA sombrent dans une épidémie qu’ils n’ont plus les moyens de contenir … la Chine « pivote » aux yeux de la planète, effaçant au passage le dossier Ouïgour et la crise de Hong Kong … en terme de « scale up », on ne pourrait mieux faire … L’heure de la tech planétaire a sonné.

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com