Théatre des Célestins / La Locandiera : l’impossible amour ?

Ce soir aux Célestins, c’est l’Italie qui est sublimée par Marc Paquien. La Locandiera, pièce de Carlo Goldoni, nous invite dans un univers drôle, didactique, profond et touchant. Mirandolina, femme qui plait et qui sait plaire, tient une auberge où chaque voyageur tombe sous ses charmes. On pourrait la voir en Dom Juan au féminin mais pourtant celle-ci ne collectionne pas les conquêtes, elle préfère rester un personnage de fantasme. Cependant il fallait qu’un homme ne présente aucune attirance pour elle, pour que tous les stratagèmes soient mis en place.

Le décor simple et épuré sublime le texte magnifique. Dominique Blanc incarne ici toute la pièce, son duo avec André Marcon relève de l’alchimie. La performance est remarquable. Cette comédienne qui nous a fait vibrer dans Phèdre de Patrice Chéreau ou qui a obtenu le césar du meilleur second rôle dans Milou en mai de Louis Malle nous bouleverse. C’est la femme qu’elle incarne qui est élevée au rang des plus grandes. On se souvient de sa déclaration à Hyppolite et ici on retient son charme hors pair, son aisance incroyable et surtout son monologue final.

Goldoni dans sa préface écrit « de toutes les comédies que j’ai composées jusqu’à ce jour, je serai tenté de dire que celle-ci est la plus morale, la plus instructive, la plus utile ». On est bien loin d’une pièce de Molière qui s’attache aux vices de son époque, ici la comédie n’est pas non plus un but en soi, la portée didactique, voire tragique nous saisit. Il y a certaines pièces qui quand le spectacle se termine vous forcent à vous assoir en sortant du théâtre pour en discuter. De certaines on parle des décors, de la modernité de l’interprétation, de l’histoire mal comprise. Ici Goldoni nous invite à une vraie discussion sur notre nature humaine et notre capacité à aimer.

Dans cette comédie, évidemment certains passages nous font rire, mais je la définirai comme portée par le tragique. Le scénario ne se termine pas comme prévu, il n’y a pas de « ils vécurent heureux … ». Ici l’amour est un stratagème, on peut même se demander s’il existe. Il y a ceux qui le revendiquent mais qui ne sont amoureux que d’une image, celle d’une femme fantasmée, et ceux qui le combattent. Ceux-là sont Mirandolina et le chevalier. Pour eux, accepter d’aimer c’est accepter de souffrir et personne ne veut s’abaisser à cette condition de son plein gré.

Marc Paquien écrit alors « Ils nous racontent l’histoire de deux êtres ayant renoncé à l’amour. Deux être qui vont pourtant, pour la seule et unique fois de leur existence, le rencontrer et le perdre à jamais ». La comparaison avec la tragédie, voir la tragédie racinienne, s’illustre ici. Dans le refus l’amour apparait comme le fruit du destin, celui-ci demeure pur et vrai simplement parce qu’il est impossible.

Comme une antithèse de l’amour passion si souvent prôné et revendiqué, ces deux personnages au nom de leur nature humaine osent dire qu’ils n’y croient pas et ne veulent pas y consentir. La morale est là, les sentiments sont souvent plus forts. Tout le génie de la pièce repose ici, contre une vérité quasiment universelle l’auteur laisse le spectateur décider du dénouement. Après tant de pessimisme, aucune vraie déclaration réciproque n’apparait, on tente toujours de discerner le jeu des sentiments. A nous de choisir.

Ainsi, à travers deux heures de spectacle, Marc Paquien avec Dominique Blanc et André Marcon font revivre le chef d’œuvre de Goldoni. Un spectacle qui derrière ses airs légers de comédie italienne nous renvoie aux propres questions de notre existence. A voir sans se poser de question ?

Et plus si affinités

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Clotilde Izabelle

Posted by Clotilde Izabelle