Reflet d’artiste : Morgan Malka, renard poétique et tempête mélodique

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Fidèles à nos habitudes, ce nouveau « Reflet d’artiste » approfondit une trouvaille préliminaire. Nous détectons Morgan Malka en août 2013, intrigués par ce profil pour le moins original par sa musique et son image, nous suivons son évolution, chroniquons la sortie d’un nouvel album durant l’été 2014. The Wreck, the divorce and the rose marque un tournant dans l’atmosphère et la musique de l’artiste, une maturité évidente, une réelle qualité dans la composition et la facture de l’album.

Un souci de perfection jamais démenti en quatre ans de travail sur ce projet solo qu’il mène de main de maître. Autodidacte et indépendant, le jeune musicien construit en marge des circuits reconnus, sans jamais rien solder de ses envies ni de ses choix : compos, enregistrements, vidéos, tout le conduit sur les routes d’un univers onirique évoluant entre merveilleux, contes noirs, films muets, dramaturgie shakespearienne et théâtre de marionnettes.

Dernier opus visuel en date, la vidéo de « Flowers in a drained pool » marque Halloween 2014 de son ambiance sombre en traitant le thème de Frankenstein. La malédiction de la créativité poussée à son extrême : voici qui complique fortement l’image faussement naïve du Pierrot musical que Malka portait jusqu’à présent. L’occasion pour nous de rencontrer le Monsieur et de lui poser quelques questions.

Une interview qui révèle un artiste d’une précision chirurgicale et d’une exigence scientifique. Une personnalité qui devrait compter dans le paysage musical français dans les années à venir.

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Bonjour Morgan. Je vous laisse vous présenter.

Bonjour Delphine. J’ai 29 ans et toutes mes dents. J’habite la Lune et je suis intimement persuadé d’être un animal de la forêt déguisé en homme. J’aime les instruments désuets, la musique de chambre, les renards, la cuisine et la campagne. J’aime travailler seul ou avec des âmes proches et belles. Je suis très organisé et pense mes projets des années à l’avance. J’essaye de placer la barre toujours plus haut dans mon travail. J’aime accomplir des choses et même si je ne suis jamais satisfait du résultat, j’aime concrétiser mes idées.

Parlez-nous un peu de votre parcours, votre formation musicale.
J’ai commencé la musique sur le tard, par hasard. Auteur improvisé puis chanteur intérimaire. J’aimais écrire un peu de poésie, comme une bonne partie des gens à cet âge. Puis j’ai monté mon propre groupe de rock avec lequel j’ai commencé à écrire des chansons à proprement parler. En 2010 j’ai commencé un projet plus personnel. Je voulais tout diriger et ne faire aucun compromis. J’ai alors posé mes mains sur un piano, appris un 3e accord de guitare et composé entièrement ma première chanson (« A Thousand Furlongs of Sea »). L’expérience était séduisante alors j’ai continué. Je n’ai jamais fait l’effort d’apprendre réellement quoi que ce soit en musique. Dans la vie j’aime les résultats rapides et je n’ai aucune patience pour l’apprentissage. En général j’improvise et quand je rencontre une difficulté, j’improvise davantage jusqu’à l’obtention de l’objet de mon désir. Si ça ne fonctionne pas j’ajoute un carré de sucre roux à un verre de cognac, un zeste d’orange, un peu de bitter et un trait d’absinthe (avec beaucoup de glaçons). J’ai quand même dû me heurter à certaines réalités techniques comme le montage vidéo, la prise de son, le mixage et même un peu de mastering.

Quels instruments vous attirent ?

J’aime tous les instruments acoustiques. J’ai commencé par la guitare avant de me rendre compte qu’elle n’était que la porte d’entrée d’un vaste monde fascinant. Je collectionne les instruments de la marque Gibson de sa création en 1900 jusqu’en 1925 environ. J’ai une guitare-harpe, une mandoline, une guitare et un banjo ténor de chez eux. Des instruments loin des critères de jouabilité moderne et c’est aussi ça que j’aime. J’aime surtout emmener un instrument dans son milieu naturel ou au contraire loin des sentiers battus. Souvent on pense que la guitare acoustique sert à jouer des chansons folk ou que la mandoline se joue uniquement sur une gondole ou bien avec un verre de Guinness. Heureusement que les choses ne s’arrêtent pas là. J’aime aussi tous les instruments oubliés ou écartés. Au même titre que je boude ceux qui deviennent omniprésents dans la musique (cajon, ukulélé…). C’est pourquoi le glassharmonica de Benjamin Franklin ou le vieil harmonium de l’église voisine m’intéressent. Je les aime parce qu’ils ne sonnent pas juste. Parce qu’on ne peut pas jouer vite ou fort, parce qu’ils sonnent mieux le mardi que le jeudi. Je les aime parce qu’ils sont comme nous, imparfaits. J’aime entendre le bois vibrer, la table d’harmonie se réchauffer. J’aime les instruments aux sonorités visuelles. Une clarinette contre-alto me transporte vingt mille lieues sous les mers. Un tuba à la parade annuelle du village…

Pourquoi le choix de la musique et de la chanson comme vecteur d’expression artistique ?

J’ai trouvé en la musique la possibilité d’allier plusieurs éléments que j’aime. Musique donc, mais aussi poésie, photographie, peinture, animation, costumes, théâtre, cirque. J’aime l’idée de travail global où rien n’est à partager ou céder. La musique permet d’allier tous ces univers dans la matérialisation d’un album ou d’un concert. Elle est aussi (plus ou moins) simplement transportable. Vecteur d’émotions intenses et moins tachantes que la peinture.

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Quelles sont vos influences qu’elles soient musicales, picturales, littéraires ou cinématographiques ?

Je suis très versatile concernant les influences. Il y a cependant d’indécrottables balises qui m’entourent. La musique de chambre de Franz Schubert. « La jeune fille et la mort », « Rosamunde », l’Andantino, l’Opus 100… Sa musique transporte mon cœur. Elle m’évoque les matins d’aube rousse aux interminables nuits romantiques. J’aime l’intense mélancolie dans laquelle elle me plonge puis le sourire qu’elle m’arrache. C’est ce que je chercherai éternellement à allier. Sourire et larmes. J’ai aussi trouvé ça dans les films de Chaplin. J’aime la musique de 1900/1920. Les tangos un peu rouillés, le ragtime, le foxtrot, les jass-band. Tout ce qui s’écoute sur gramophone. J’aime le papier-mâché, le toc, l’illusion. Alors j’aime Méliès, le Casanova de Fellini. J’aime les peintures de Turner ou de Caspar Friedrich. J’aime la campagne, le silence qui s’y trouve. J’aime quand mon cœur est aussi chaud que ma gorge après une lampée de thé en automne. J’aime ce qui surpasse le réel. Quand au réel, j’en aime les choses simples.

Votre univers est très riche, onirique. Présentez-le nous. Comment a-t-il évolué au fil des années ? Selon quels critères ?

J’ai toujours été plus actif dans ma tête qu’ailleurs. Du coup j’y ai aménagé beaucoup de choses. En bon hôte j’aime que tous s’y sentent à l’aise alors comme dans la carte de Neverland de James Barry, chacun a son coin avec ses passages dont je suis le seul à détenir les clés. J’ai toujours imaginé mon travail comme une roulotte peinte à la main qui pourrait se déplier à l’infini. Les décors en jailliraient comme un diable de sa boite. Les instruments seraient à leur place et en bon monsieur Loyal j’animerais le tout. A défaut de roulotte je le fais à travers mes disques. Je fais en sorte que ma musique ait ce son de carton, de bois et de cordes. Un son rapiécé à la dernière minute. Si j’ai les pieds sur terre au quotidien, je laisse mes pensées vagabonder dans des endroits plus plaisants. Parfois elles me rapportent de jolies mélodies sans que j’ai à poser la main sur un instrument. J’aime bien les laisser libres. Si mon univers est riche c’est que je ne cherche jamais à le contraindre. Comme un rêve, je me laisse aller et m’arrange du résultat. J’aime aussi l’unité en musique, c’est la seule rigueur que je m’impose. Quand il y a trop de choses disparates, je tranche.


Pourquoi cette orientation vers le merveilleux, le mystère et le fantastique, le monde du conte ?
Parce que la musique de l’urbain, du moderne, parce que le monde qui s’impose à moi ne me plaît pas. Parce que je n’aime pas m’y plonger, au contraire je cherche à le fuir. Alors je fabrique quelque chose qui me plaît davantage. Je suis content que cela plaise aux autres et que des gens aient envie de venir partager une part de tarte avec moi ici. Je n’aime pas me soumettre à la mode, me soumettre à ce que les gens veulent. Je n’aime pas l’infâme étroitesse qui nous écrase constamment. Depuis que j’ai déménagé sur la Lune, j’ai un point de vue plus global mais aussi plus distant. J’apprécie mieux la vie ainsi et mon travail n’est pas affecté par la réalité que je laisse bien volontiers aux impératifs. J’aime cette indépendance totale.

Votre dernier album nous entraîne dans les mondes de Shakespeare et Jules Verne, entre voyages, monstres des mers et naufrages. Il tranche avec les précédents opus. Pourquoi cette nouvelle voie d’exploration ?
Comme pour tout un chacun, je dirais qu’il y a plusieurs personnalités en moi. Si certaines s’incarnent assez bien dans les deux premiers albums, dans la légèreté, la couleur, l’âme en paix, d’autres sont plus mélancoliques. J’avais donné des signes avant-coureurs dans « Holographic Siam » et « How we Danced on the Moon » mais sur « The Wreck, the Divorce & the Rose » je voulais plonger directement dans ces sentiments. Je suis quelqu’un de particulièrement sujet au stress et dans ces cas-là je suffoque, je me sens oppressé. De plus je ne nage pas très bien. Ce qui est paradoxal pour un Morgan. Je voulais que cette sensation de noyade, d’asphyxie s’incarne dans ce disque. Quand j’ai su que David (le clarinettiste avec qui j’ai travaillé sur le 3e album) jouait de la clarinette contre-alto, cet instrument qui sonne comme le ventre du léviathan, l’album était fait dans ma tête. Je voulais incarner en musique tous les tourments de Prospero ou d’Ulysse, la voix quasi-humaine du violoncelle était idéale pour ça. Il manquait cependant un peu de rythme et d’énergie. Le marimba s’est alors imposé. Immense, vibrant, comme un monstre marin. « The Wreck, the Divorce & the Rose » est une expérience en mer, pas forcément une nouvelle voie d’exploration. Je suis depuis retourné à terre et y prépare la suite. Je voulais vivre les tempêtes de la peinture classique, les envolées romantiques schubertiennes. Je voulais entendre les vagues se fracasser sur la coque. Un album très théâtral, comme une tempête sur scène, à la lueur des bougies, l’auditoire retenant son souffle.

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Comme vous venez de le préciser, vous avez plusieurs albums à votre actif que vous produisez seul. Comment se passe le processus de composition ? Puis la mise en place ? Comment travaillez-vous, la musique, le texte, les enregistrements ?

Je commence par imaginer un endroit. Un sous-marin dans le cas de « The Wreck, the Divorce & the Rose », un appartement mitoyen de celui des Aristochats dans « How we Danced on the Moon », puis j’y place des musiciens. En général je m’inspire de gens réels ou d’inconnus croisés ici ou là. Je les habille, les coiffe et leur donne un instrument. Puis je les laisse jouer. J’adore les clichés, un accordéoniste de tango porte forcément une moustache cirée. Un tubiste a forcément les joues rouges et un gros ventre. C’est un processus qui nous aide beaucoup pour réaliser les films de marionnettes par la suite. Quand ce petit orchestre se met à jouer je me demande assez vite ce qu’il pourrait avoir envie de nous raconter. Les mots viennent souvent à partir du titre. Tout l’aspect technique des accords, de la mélodie ou du rythme est véritablement secondaire là-dedans. Tout se passe au moment où je pose le climat. Après plus concrètement, j’enregistre souvent une grande partie des instruments puis je collabore avec des amis qui viennent apporter leurs contributions. J’aime travailler seul et au calme. Le travail en studio ne m’intéresse pas, ce que j’aime c’est être au milieu de mes instruments, de mes objets et portraits.

Vous avez choisi de vous exprimer en anglais. Pourquoi ce choix ?

Au départ c’était un repère. En chanson française, mes connaissances sont limitées, j’aime Madame Rollini, Nino Ferrer, Barbara ou Boris Vian mais si je les aimais en disque, je ne m’y retrouvais pas. Même chose pour les textes. J’aime André Breton, Alfred Jarry et il était difficile d’en faire des chansons. L’anglais était pour moi plus riche. J’ai longtemps cherché ma voix. Au départ je voulais chanter comme Beefheart. Ce n’était hélas pas possible alors j’ai essayé plusieurs choses puis j’ai trouvé, retrouvé ma voix. Celle qui venait naturellement et invariablement, sortait en Anglais. J’y songe cependant.

Vous appuyez votre univers musical sur sa projection visuelle, entre photos et vidéos, d’animation ou plus récemment avec des interprètes. La marionnette est souvent très présente dans votre création. D’où cela vient-il ? Comment façonnez-vous ces personnages ?

Le visuel est une composante indivisible de ma musique. Je cherche à produire une musique visuelle et réciproquement. C’est un tout. C’est l’extension d’une idée. C’est même parfois l’image qui guidera la musique. Par exemple pour le 4e album à venir, c’est la pochette qui a guidé l’inspiration du son, des compositions. Je sais toujours où je vais à l’avance, ces images je les projette et elles m’aident à construire la musique. Les films de marionnettes sont une excellente façon pour moi de faire vivre mes chansons. Je n’aime pas beaucoup les concerts mais j’aime voir mes chansons jouées. Alors nous fabriquons les personnages idéaux. Ceux qui sont le plus à même de jouer le morceau ou de vivre ce qui s’y passe. Nous fabriquons ces marionnettes en famille. Mon père réalise les personnages avec de la pâte à modeler, du fil de fer, de la mousse et du bois. Ils mesurent environ 35 centimètres. Ma mère réalise les costumes. Ils sont conçus comme de véritables costumes d’humains avec poches, parementures, ourlets. Évidemment tout en petites mesures. Nous essayons de trouver des projets qui nous emballent tous les trois. Parfois les costumes sont plus stimulants comme pour « Waltzing on the Shore » parfois c’est le nombre de personnages ou bien la difficulté d’animation qui prime. Je m’occupe de la réalisation. Tout est fait en stop-motion. Ce sont donc des milliers de photos à retoucher, monter ensemble puis à synchroniser avec la musique. L’animation n’est pas de tout repos, les marionnettes sont parfois difficiles à articuler. Les dizaines de petits objets qui font la richesse du décor tombent pendant les séquences, c’est souvent source de beaucoup de drames mais nous sommes toujours très emballés par le résultat. Sur le prochain « Flowers in a Drained Pool », nous avons intégré une 4e personne pour les effets spéciaux. Là encore nous restons entre gens de bonne compagnie puisqu’il s’agit de ma bien-aimée.

Le film muet, Meliès, l’univers de Verne, les photos sépia, … d’aucuns vous qualifieraient d’artiste steam punk. Comment définissez-vous votre art ?

J’aime bien le steampunk ou en tout cas la capacité qu’ont certains à ouvrager somptueusement des objets modernes du quotidien. Mais je n’aime pas beaucoup les choses modernes. Je suis content de vivre à cette époque mais j’aime bien puiser dans le passé ce qu’il y avait de mieux. Travailler avec un ordinateur, un téléphone c’est en effet très pratique mais si je pouvais fondre ces objets dans le décor dans lequel j’habite, ce serait idéal pour moi. Je ne suis pas un artiste steampunk dans le sens où je ne suis pas un artiste « quoi-que-ce-soit ». Je me bats quotidiennement avec l’idée saugrenue qu’ont certains de s’enfermer dans une case. Etre artiste c’est être libre. Si on cesse de l’être on devient un produit, un concept et on perd ce qui faisait notre intérêt, notre différence. Je refuse l’idée de porter des vêtements qui correspondent à mon style musical ou de définir ce même style. Je comprends qu’il soit indispensable de le faire pour remplir des bacs de disques mais ne m’y trouvant pas, cette question ne me préoccupe pas. Je préfère qu’on prête mon disque à quelqu’un qui souhaite comprendre ce qu’il y a dedans plutôt qu’on cherche vainement à lui expliquer que c’est tel type de musique. Il n’y a pas de début de réponse à donner ou alors disons que c’est du Zouk Bavarois à tendance binaire.

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Merci à Morgan Malka pour son temps et ses réponses.

Et plus si affinités

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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com