Exposition Éblouissante Venise : l’art au service d’un mythe ?

Venise, les arts et l’Europe au XVIIIeme siècle : voici le fil directeur de la nouvelle exposition orchestrée par le Grand Palais, qui met en lumière une sérénissime au sommet de sa gloire … mais déjà moribonde. Car par delà les folies du carnaval, l’éclat d’une création artistique débridée, le succès de Vivaldi, Tiepolo, Guardi, Canaletto et consort, c’est une puissance sur le déclin que nous voyons ici lutter pour survivre désespérément dans les décombres de sa gloire passée.

Un combat pathétique car sans issue, et totalement insoupçonnable, caché qu’il est par la superbe d’une société vouée au paraître. Venise au plus fort du XVIIIeme siècle affiche ses artistes dans toutes les cours d’Europe, ambassadeurs d’un art de vivre glorieux … mais en perte de vitesse. Capitale du jeu, de la galanterie et du divertissement, la cité multiplie théâtres et opéras, casini où l’on joue gros, ses couvents ont la réputation d’abriter les plus jolies femmes d’Italie et les moins farouches, ses courtisanes sont appréciées, recherchées … bref la république doucement se transforme en Disneyland des Lumières, un spot de tourisme sexuel, un lieu de débauches.

Et le business qui a permis l’essor de la cité ? Quid de sa force militaire jadis essentielle dans l’échiquier diplomatique européen, en première ligne quand il s’agissait de repousser l’empire ottoman voisin ? Il n’en reste plus grand-chose, ma foi, un pâle reflet peut-être dans la somptuosité de cérémonies officielles que Canaletto s’empresse de dépeindre dans ses vedutte, cartes postales avant l’heure qu’on vendra de par le monde civilisé comme une réclame trompeuse d’un mode de vie carencé par la corruption et les passe-droit. Mais qu’importe tant qu’on a l’ivresse des fêtes et des plaisirs …

Salle après salle, l’exposition commissionnée par Catherine Loisel décortique cette magnificence et sa décomposition, que les artistes les premiers fuiront avec le bon sens du créatif sensible aux sursauts de son écosystème. La diaspora, doucement mais sûrement, vide la Sérénissime des ses dernières forces vives, la laissant exsangue, impuissante face à Bonaparte qui l’annexera avant de la céder aux autrichiens. Reste une légende, entretenue, diffusée activement pas ces mêmes artistes via leurs œuvres et leur excellence. Paris, Espagne, Allemagne, Angleterre, nous suivons le chemin de ces vénitiens hors de leur patrie, regrettant au passage que le plus prestigieux d’entre eux n’apparaisse pas dans ce récit.

Véritable incarnation de l’esprit vénitien, Casanova est le grand absent de cette rétrospective alors qu’il fut une plume, un musicien, un orateur apprécié. Idem pour Goldoni qu’on voit apparaître à peine, alors qu’il fut l’observateur attentif et ironique des mœurs de ses concitoyens, restituant leurs travers dans ses comédies. Quid par ailleurs de la courtisanerie chère à cette cité hors normes ? Quid du lent démembrement de son artisanat ? Si, sous l’impulsion de Macha Makeïeff, bombardée DA de la manifestation, les arts du spectacle occupent une part évidente du parcours, introduisant au passage l’opportunité de concerts et de saynètes restituant l’atmosphère musicale de l’époque, le démantèlement politique et diplomatique de Venise demeure anecdotique.

En résumé, si les adeptes de la sérénissime n’apprendront que peu de choses sur le sujet, les néophytes trouveront certainement leur bonheur dans l’approche généraliste adoptée par Éblouissante Venise et une scénographie dynamique, qui n’est pas sans évoquer l’esthétique du vibrant Casanova – Un adolescent à Venise de Luigi Comencini, dont nous recommandons vivement le visionnage pour compléter cette visite, car le film restitue parfaitement la mentalité et l’atmosphère régnant dans la république à cette époque : on y comprend mieux alors comment cette puissance a pu s’abîmer dans la décadence.

Et plus si affinités

https://www.grandpalais.fr/fr/evenement/eblouissante-venise

Dauphine De Cambre

Posted by Dauphine De Cambre

Grande amatrice de haute couture, de design, de décoration, Dauphine de Cambre est notre fashionista attitrée, notre experte en lifestyle, beaux objets, gastronomie. Elle aime chasser les tendances, détecter les jeunes créateurs. Elle ne jure que par JPG, Dior et Léonard.