Exposition Albert Renger-Patzsch, Les Choses : du rythme et de la lumière …

Le Jeu de Paume présente jusqu’à la mi-janvier 2018 Albert Renger-Patzsch – Les Choses, l’exposition que nous avions vue cet été à la fondation Mapfre de Madrid, consacrée à l’une des figures majeures de la Nouvelle Objectivité. Le commissaire, Sérgio Mah, a retenu plus de 150 tirages, tous splendides, répartis en plusieurs salles et périodes distinctes, traitant de différents thèmes, allant des années vingt aux années cinquante. Les espaces du musée permettent de donner le rythme qui manquait sans doute dans les galeries madrilènes à l’atmosphère austère. Du rythme et de la lumière.

Les Choses est donc le titre de la rétrospective. Il devait être au départ celui de l’ouvrage le plus fameux du photographe, Le Monde est beau. Deux points gênants nous empêchent d’entrer de plain-pied dans l’univers exhibé :

  • l’absence presque totale de l’élément « humain » – si l’on excepte les Pêcheurs de crevettes (1927), l’Homme dans une barque (1927), le Faucheur (1927), les Mains de potier (1925), les gros plans de Mains jointes (1927) et de pieds aux orteils abîmés (c. 1930)

  • les chaînons manquants dans sa biographie sur lesquels il conviendrait de s’interroger plus sérieusement que cela n’a été le cas jusqu’à présent sur la période de 1933-34 où il a enseigné à la Folkwangschule d’Essen grâce au soutien de l’artiste bien en cour Max Burchartz et sur celle de 1941-44 où, apprend-on, il a été photographe de guerre pour l’organisation Todt de sinistres nom et mémoire.

Die Welt ist schön, l’album-manifeste de l’avant-garde photographique allemande des années vingt, publié par lui en 1928, avec un an d’avance sur la fameuse exposition internationale du Deutscher Werkbund de Stuttgart, Film und Foto, ne convainquit pas vraiment Walter Benjamin qui, ainsi que le rappelle Bernd Stiegler dans le catalogue de la manifestation, déplore, citant Brecht, que la Nouvelle Objectivité ait « réussi à faire de la misère elle-même (…) un objet de plaisir ». Selon le philosophe, ce courant artistique a pu « donner à n’importe quelle boîte de conserve sa place dans l’univers » mais a été incapable de dire quoi que ce soit des relations sociales. D’après lui, « la simple reproduction de la réalité ne nous informe pas sur celle-ci. Une photographie des usines Krupp ou A.E.G. ne nous apprend quasiment rien sur ces entreprises. ». Pour lui, l’image seule « ne permet pas de rendre la réification des rapports humains ». Qu’ils le veuillent ou non, les tenants de la Nouvelle Objectivité font un usage technique de la photographie, de l’art appliqué, non de l’art tout court.Le Monde est beau relève pour Benjamin du credo « petit-bourgeois ».

Ceci dit, on ne sache pas qu’un tel reproche ait été adressé par l’auteur de la plus grande réflexion sur l’art de la reproduction aux productions mi-artisanales, mi-artistiques du Bauhaus, aux cinéma-vérité du futuriste russe Dziga Vertov, à la photographie constructiviste d’un Rodtchenko. Qu’eût-il dit du Pop Art ? Avec le recul, on n’a d’ailleurs pas l’impression que Renger-Patzsch exalte particulièrement l’objet. Ses compositions ont certes une perfection géométrique, absolue et froide, mais guère plus que celles d’un Poussin. Extrêmement rares sont les gros plans d’objets isolés (la Verrerie d’Iéna, 1934, étant le seul exemple) ou les clichés publicitaires. Aucune photo de mode n’est présentée.

La qualité des prélèvements d’un milieu et d’une époque donnés est ici telle qu’elle transcende les notions de nature, de région, de terroir et celles de toute chronologie. Si Benjamin n’en a pas perçu l’aura, c’est que Renger-Patzsch, plus que tout autre, se refuse à tout effet de nostalgie, de sensiblerie, de romantisme. La nature étant par définition photogénique, comme l’a dit et montré William Henry Fox Talbot, celle-ci prend le pas sur tout le reste – la civilisation, qui point mais discrètement, l’humanité. Les photos des débuts pourraient être celles de la fin : la Forêt de montagne en hiver (1926), le Jeune arbre (1928) n’ont pas pris de ride, pas plus en tout cas que le Mécanisme de plissement (1962).

De ce fait, la nature est plus souvent qu’à son tour cadrée comme la rare figuration humaine : en portrait.

Et plus si affinités

http://www.jeudepaume.org/?page=article&idArt=2757

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Nicolas Villodre

Posted by Nicolas Villodre