« Cold » experiment / Pénélope Octavio : la vérité nue … sort des frigos.

La tradition veut que la vérité nue sorte d’un puits. Botticelli l’a délicatement posée dans une coquille sous les trait d’une blonde Vénus au visage auréolé de lumière, Cranach la représente avec une pâleur d’albâtre et des yeux d’amande mouillés de volupté ; Marcel Carné la faisait jaillir d’une baignoire sous les traits d’une Arletty ruisselante au sourire doux et tranquille.

En plaçant ses modèles dans un frigo, Pénélope Octavio propose une lecture moderne et consumériste du mythe. Le réfrigérateur, berceau de nos estomacs, réceptacle de la consommation, premier cercueil des corps décédés … objet hautement symbolique que la belle photographe a eu l’idée de transformer en cadre dans lequel s’installent Mr ou Mme Tout le Monde venus poser nu dans ce contexte pour le moins surprenant.

Oui c’est là la deuxième particularité de l’artiste lyonnaise : elle fait poser des inconnus, des passants, des quidams, qui installent leur corps dévêtu dans cet étroit réceptacle comme certains entreraient dans un confessionnal, d’autres dans un cabinet de psy, d’autres encore dans une salle de radiographie … ou tout simplement dans leur douche …

Tout simplement … cela reste à voir car les conditions sont tout de même un peu restrictives : pas de bijou ni de lunettes, rien, le corps nu point barre ; pas de parties qui dépassent du cadre, l’ensemble de la personne doit se cantonner dans l’espace réduit et inconfortable ; 4 poses obligatoires : « sommeil », « éveil », « découverte », « regard sur l’objectif ».

Je sais de quoi je parle : j’ai tenté l’expérience en ce beau mois de mai fleuri 2011 pendant le Festival Européen de Photo de nu qui se déroule à Arles. J’y débarque la truffe au vent comme à mon habitude, rencontre Bernard Minier le délégué artistique et technique du festival qui m’en présente les grandes lignes et me parle de Pénélope et de Cold, m’expliquant le principe de cet atelier un peu spécial.

« Ok je le fais ». 12h30 je rencontre la dame, rendez-vous est pris pour 15h, 15h30 je finis de me déshabiller pour monter dans ce frigo, succédant en cela au dit Bernard Minier et à une grande partie des photographes venus exposer sans compter les galéristes, certains sponsors et des dizaines de visiteurs séduits par l’expérience. Tous se sont déshabillés sans ou malgré leurs complexes. Personnellement, j’y suis allée comme on va en consultation, j’ai trouvé le moyen de me coincer le genou en montant dans ce bon dieu de frigo, et j’ai eu la réaction typique de toute nana se contemplant en tenue d’Eve : « Mon Dieu, faut que je fasse un régime ! »

Et puis à y regarder de plus près, bah finalement on se rend compte qu’on est peut être pas si mal que ça, en tout cas pas totalement à vomir, voire passable. Et puis après on se montre aux autres, les proches, les intimes, le cercle rapproché, toute fière de son exploit qu’on est, … et là grosse surprise : les réactions ne sont pas du tout celles qu’on attendrait, certains qu’on pensait fermés/cadenassés adorent, d’autres plutôt ouverts se ferment comme des huîtres, d’autres encore déclarent : « Mon Dieu mais t’es vraiment courageuse d’avoir fait ça », ou « Oh là là mais tu as l’air d’un cadavre à la morgue ! » (celle-là m’a d’ailleurs fait un peu flipper, je le confesse) ou encore (c’est ma préférée) « Le frigo fonctionnait ???? »

Trêve de plaisanterie : car ce genre d’exercice ne laisse pas indemne et entraîne pas mal de questionnements sur le rapport à l’autre et à soi, sur l’échelle des valeurs, sur la perception de la nudité et de la pudeur, sur la volonté qui motive cet acte de poser : exhibitionnisme, affirmation de soi, exploration de ses zones d’ombre, érotisme … prise de risque ? J’ai personnellement longtemps hésité à produire ces photos, interdisant qu’elles soient diffusées sur le net, restreignant l’usage à la diffusion par expo et livre. C’est qu’il faut pouvoir assumer l’acte et surtout la perception que l’autre en a. Car décidément, si se mettre à nu n’a rien d’une expérience porno et j’en atteste, cela reste encore un tabou pour beaucoup et je soupçonne certains lecteurs de mon cœur, de se demander ce qui a bien pu me pousser à me lancer.

La curiosité ? Le désir de vivre un processus artistique de l’intérieur ? Et un bien faible risque puisqu’au finish j’en montre beaucoup moins que certaines demoiselles dans les soirées ou sur les plages de France et de Navarre. Oui mais voilà : poser nu transgresse un interdit. Un interdit que tous les photographes rencontrés sur site ont néanmoins à gérer au quotidien, jonglant entre appartenance de l’image et censure, faisant signer autorisations de diffusion et cessations de droits à l’image pour certains, tenus de placer la mention « site pour adultes » sur leur blog pour d’autres, vérifiant l’âge des modèles de peur de shooter des demoiselles qui auraient triché sur leur majorité … bref pas mal de paramètres qu’ils sont obligés de prendre en compte pour continuer à travailler en toute quiétude sur la nudité.

Une nudité qui échappe désormais aux canons de beauté imposés par les podium de mode ; exit les mannequins rachitiques, les girafes graciles, … si certains artistes affectionnent encore la féminité rentre dedans et quelque peu aseptisée de modèles professionnelles, force est de constater que des changements s’opèrent et que la diversité des corps reprend ses droits, la diversité des corps et des sexes, puisque ces messieurs posent de plus en plus avec une grâce et une pudeur qui contraste avec la tranquille assurance de la gent féminine.

Pénélope me confiera quelques semaines plus tard avoir été bouleversée par cette retenue, cette timidité, cette émotion toute masculine. Elle aura également saisi bien des sentiments avec son objectif, bien des lâcher prise, des transformations, …. Cela l’a d’ailleurs affectée. Et elle a jeté ce premier frigo … pour en reprendre un autre. Car n’en déplaise aux détracteurs et aux dévôts (faux ou vrais du reste), l’expérience Cold plaît : Pénélope accumule les shootings et l’on entre désormais dans son frigo comme d’autres vont au Photomaton.

Un signe des temps ?????????

Et plus si affinités

http://www.penelopeoctavio.blogspot.fr/

Dossier La vérité Nue

La vérité nue : quand l’image dévoile les corps
La vérité nue / Hervé All – Maud Chazeau – Olivier Valsecchi : Le corps en mouvement, les mouvements de l’âme ?
La vérité nue / Simon Jourdan : « un regard sur le corps »
La vérité nue / Pierre Cambon : Le corps et l’ombre
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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com