Avec Les bottes suédoises, ultime roman d’Henning Mankell, l’auteur de la série policière avec l’inspecteur Kurt Wallander, met à nouveau en scène Fredrik Welin, personnage des Chaussures italiennes. Récit atmosphérique et crépusculaire, terriblement humain.
Fredrik Welin, tout juste septuagénaire, vit reclus sur son île de la Baltique dans une demeure familiale léguée par ses grands-parents. Une nuit, il s’extirpe in extremis de cette maison en proie aux flammes. Ne subsistera du brasier qu’une boucle d’un soulier fabriqué par son ami, le cordonnier Giaconelli. Dès lors, dépossédé de tous ses biens, le héros traverse une grave crise existentielle qui ne cesse d’empirer au fur et à mesure que l’enquête sur ce mystérieux incendie progresse. Entouré de son impulsive et enceinte fille, d’une journaliste de presse locale dont il s’amourache et de son serviable facteur Jansson, il tente de reconstruire sa vie alors que la mort rôde dans sa bourgade en proie à d’autres inquiétants embrasements.« Que va t-il faire ? Lui reste t-il au fond la moindre raison de continuer ? »
La mort. C’est la mort qui règne en maître dans cet ultime roman d’Henning Mankell, illustre auteur de polars suédois décédé en octobre dernier. Sa propre mort que l’on imagine, à défaut de la pressentir («Il ne me restait que la vieillesse. À la fin, elle cesserait aussi et alors il n’y aurait plus rien. ») ; la mort de ses voisins qui survient brusquement sans crier gare ; la mort de sa bien-aimée que l’on se remémore et que l’on n’accepte toujours pas. Pour une naissance (de grand prématuré), combien de morts et de velléités de suicides planent sur Les bottes suédoises?
Publié au Seuil en 2009, Les chaussures italiennes s’articulaient déjà autour du personnage de Fredrik Welin, chirurgien dont la carrière a été brisée à la suite d’une erreur médicale. Il vit en ermite sur une île proche de Stockholm, ponctuant son quotidien par des baignades dans l’eau glacée et de rares échanges avec les habitants de l’archipel, jusqu’au jour où il voit arriver sur la mer gelée, Harriet, la femme qu’il a aimée puis abandonnée quarante ans plus tôt.
En quasi-fin de vie, elle lui demande une ultime faveur : l’emmener au «lac de la forêt», celui dont il lui parlait dans leur prime jeunesse. Cette demande particulière change la vie de Fredrik à tout jamais, puisqu’Harriet, profitant de ce road-movie, lui présente sa fille Louise, dont il ignorait jusque-là l’existence. Fille qui pour « cadeau de bienvenue » lui offre une paire de chaussures créées sur mesure par Giaconelli, maître bottier italien installé dans un petit village abandonné de Suède.
Dans Les bottes suédoises, ultime opus de ce diptyque, «quelques années ont passé», prévient l’éditeur en exergue du texte. «Suite indépendante» comme le précise l’auteur, Les bottes est le petit frère grave et attachant des Chaussures, roman existentiel qui se vendit en France à près de 500 000 exemplaires : mêmes phrases courtes, même lyrisme pour évoquer la nature scandinave, même regard, parfois tendre, souvent désabusé, sur l’humanité.
Hankell décrit une communauté étonnante : tout le monde s’y tutoie (la Suède a voté le tutoiement dans les années 70 et lâcher un « vous » à son interlocuteur est plus que mal venu.) mais personne ne se fréquente vraiment. On n’entre pas chez son voisin et quand bien même on le côtoie depuis un demi-siècle. Bourru, Welin peine même jusqu’à étreindre sa fille. Quand celle-ci lui frôle la main – à son grand étonnement – c’est pour lui dérober sa montre. Au fil des pages, les rapports deviennent plus chaleureux et en ce sens, le roman est une réflexion poignante sur la filiation. Ici une « cohabitation silencieuse entre deux personnes pleine d’agressivité retenue (…) condamnée aux malentendus. »
Mais plus qu’une peinture d’une bourgade insulaire nordique, ces Bottes suédoises (que Fredrik commande au lendemain de l’incendie de sa maison et qui lui seront livrées … 5 ans plus tard), sont une réflexion sombre et poignante sur la maladie et sur la mort. Et ne serait-ce pas la voix d’Henning qu’on entend dans ses lignes : son hypocondrie, ses inquiétudes pour l’environnement et le sort de l’humanité ? Lui qui a écrit ce roman se sachant condamné par un cancer.
Il y a donc la mort qui rôde dans ces 352 pages mais, in fine, Les bottes suédoises se révèle être une émouvante célébration de la vie. De grands ou menus événements sont là pour contrebalancer l’omniprésence de la Faucheuse : un enfant qui naît assurant la continuité du monde à celui qui s’en va; des emballements amoureux qu’on ne soupçonnait plus vivre à 70 ans; les doux souvenirs qui peuplent les mémoires, et toutes ces envies, projets voire abnégations salutaires qui se dessinent à l’orée d’un automne naissant.
À l’instar de l’ultime phrase écrite par Monsieur Mankell : «Déjà fin août. L’automne serait bientôt là. Mais l’obscurité ne me faisait plus peur.»
Et plus si affinités
http://www.seuil.com/ouvrage/les-bottes-suedoises-henning-mankell/9782021303896
