Album : Joshua Abrams – Magnetoception – Eremite Records – 2015

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Pour bien mesurer l’impact d’un tel disque aujourd’hui, il faut peut-être remonter quelques années en arrière dans Chicago et ses environs. Une époque (fin des années 90-début 2000) où l’éclectisme musical affiché par la ville donnait le vertige, bien au-delà du continent américain. Cité jazz éternelle, berceau house (et footwork plus récemment), c’est pourtant par l’indie-rock, le groupe Tortoise, et d’autres formations ou labels, que Chicago allait rayonner d’une nouvelle manière, invitant diverses influences, souvent instrumentales, sur une dizaine de disques toujours incontournables.

Joshua Abrams, bassiste, mais pas seulement, peut sans exagération être associé à la scène post-rock, mais sa trajectoire (pas loin de vingt ans de musique) lui permet de survivre aux modes musicales, à leur classement, leur limite dans le temps. Aujourd’hui la presse et radio locale parlent plus volontiers à son sujet de world-jazz, mêlée de krautrock. Ou du fameux guembri, instrument à cordes des Gnawa adopté par Abrams depuis plusieurs albums. Pour s’aider encore de comparaisons, on pourrait aussi évoquer Magnetoception comme un descendant enfin idéal de l’album Mirrored (2007) de Battles. Comme si le groupe alors conduit par Tyondai Braxton avait trouvé l’harmonie collective dans un contre-pied à dominante acoustique.

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Tout ça pour écrire que Magnetoception est quand même très difficile à classer. Instrumental dans son entier, invitant le percussionniste Hamid Drake ou Jeff Parker, dédié à Fred Anderson, le disque ne donne pourtant jamais l’impression d’un who’s who jazzy. Il part à l’aventure dès son ouverture, « By way of Odessa », longue dérive presque mystique, non dénuée de tension. La suite de l’album est tout aussi splendide. « Lore » plus apaisé, contemplatif, en tout cas en apparence, la présence d’une harpe , des envolées rythmiques sur du velours, jusqu’au très beau final « The ladder ». Souvent à la frontière de la musique répétitive, Abrams et ses musiciens ont trouvé un groove qui ne ressemble à nul autre. Une danse presque immobile. Un album de bass-music du troisième type.

Magnetoception a l’immense qualité de nous proposer une musique qui échappe aux étiquettes, sans doute solidement ancrée à la scène, mais loin de toute démonstration virtuose. Inédite et tout à fait écoutable. D’où aussi, l’étonnement du chroniqueur devant le peu ou l’absence de réaction des médias français en face du disque. Est-il arrivé chez nos confrères généralistes ou spécialistes ? Trop sauvage pour l’establishment jazz ? Trop discret ou artisanal pour les observateurs indie ? Magnetoception est d’ores et déjà un des grands albums de cette année.

Et plus si affinités
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Thomas Malésieux

Posted by Thomas Malésieux